Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Stéphanie

Psychologue clinicienne (Ardèche)

« On n'enferme pas les oiseaux. »

Stéphanie a 47 ans. Veuve et mère de trois adolescents, elle est titulaire de la Fonction Publique Hospitalière depuis 15 ans, en hôpital et en EHPAD publics. Elle est suspendue depuis le 15/09/2021.

Cela fera bientôt un an… Je me souviens de ce 14 septembre 2021.

Depuis la veille, j’ai très mal au dos suite à un faux mouvement fait au moment d’accompagner une dame âgée en fauteuil roulant devant sa fenêtre de chambre. Je viens de lui dire que ce rendez-vous serait effectivement notre dernier. Je l’ai informée la semaine précédente que je ne serai certainement plus présente dans l’établissement à compter du 15 septembre. Elle me demande alors : « à cause de la vaccination ? » Je réponds simplement : « oui ». En sortant de la chambre, ce 13 septembre, pliée en deux à cause de la douleur physique, je l’entends me dire, la voix tremblante : « Merci pour tout, vous allez me manquer ». Je referme la porte de la chambre ne parvenant pas à lui dire, souffle coupé et larmes retenues : « Merci à vous pour votre confiance et merci pour nos échanges ».

J’aurais pu me mettre en arrêt maladie, voire même en accident de travail, puisque je viens de me coincer le dos avec une résidente de l’EHPAD, mais c’est impossible pour moi. Je veux assumer pleinement le fait de ne pas me plier à ce véritable chantage gouvernemental à la vaccination et donc assumer pleinement la suspension sans salaire qui en découlera.

Surprenante d’ailleurs cette suspension sans salaire, quand on sait qu’un soignant qui aurait été maltraitant à l’égard d’un patient se verrait suspendu avec maintien du salaire avant de passer au tribunal administratif !

De même, inutile de me parler d’acheter un faux passe vaccinal, cela rentrerait trop en contradiction avec mes valeurs et mes principes.

Le 14 septembre, je pose 3 heures de grève pour sortir du travail à 14h. J’ai prévenu tous les patients et résidents que je ne serai plus présente dans l’établissement à compter du 15 septembre. J’ai dit également au revoir à tous mes nouveaux collègues ; je suis en poste dans cet établissement depuis un mois et demi, après avoir obtenu ma mutation, une mutation tant attendue car je ne suis plus obligée, désormais, d’effectuer deux heures de trajet pour me rendre à mon travail.

Ce 14 septembre, quand je rentre dans ma voiture, je sens les larmes monter et tant d’émotions m’envahir… Je suis également sidérée qu’une telle violence soit organisée à l’encontre des soignants et d’autres personnels également soumis à cette obligation vaccinale. Je m’effondre 5 minutes plus tard.

Les jours s’enchaînent, je repense à tout ce que j’ai vécu depuis le début de cette « pandémie ». Le manque de moyens de protection dès le début de la crise, puis les masques usagers et moisis qu’on devait porter toute la journée, les injonctions contradictoires si nombreuses concernant les conduites à tenir, les discours gouvernementaux induisant la peur chez beaucoup d’entre nous.

Quelle manipulation ! Sait-il, celui qui a dit : « Nous sommes en guerre », l’effet qu’il a produit sur bon nombre de personnes et notamment les résidents âgés vivants en institution ?

Je me souviens aussi de la peur de mes enfants, au début de cette crise, lorsque je pars travailler le matin, alors qu’ils sont confinés tous les trois à la maison, et que je reviens 10 heures plus tard. Je leur demande de ne pas écouter les infos, ni regarder l’actualité sur le Web, pour ne pas que cette peur soit entretenue inutilement. Dès lors, elle cèdera assez vite.

Et puis les vaccins arrivent… Les concepts de consentement libre et éclairé, de même que celui du libre choix, que j’ai si souvent présentés lors des « journées européennes des droits en santé » organisées au sein de l’hôpital pour informer les usagers, et qui sont des notions essentielles au cœur même de mes accompagnements psychologiques, volent en éclat.

Je rencontre mon médecin traitant pour qu’il fasse mon rappel de vaccin antitétanique.
Nous évoquons ensemble la question du vaccin anti-Covid et je me retrouve alors face à un homme en colère, mais bien incapable de me donner des informations concrètes sur ce vaccin, ni sur les effets secondaires déjà connus, ou des arguments pertinents pour me convaincre de me faire vacciner. Il me claque la porte au nez face à mon refus.

Quelques jours plus tard, le discours présidentiel annonçant la vaccination obligatoire vient encore renforcer mon choix de ne pas me faire vacciner. Je ne peux me soumettre et céder à un quelconque chantage.

Le passe sanitaire et le passe vaccinal entrent en vigueur. L’accès aux soins devient conditionné ! Que deviennent alors les valeurs fondatrices de l’hôpital ? L’égalité, qui implique la non-discrimination et le devoir de soigner chacun, quel que soit son état de santé et sa situation sociale ? Et la neutralité ?

En novembre dernier, j’ai fait une demande de rupture conventionnelle avec l’hôpital afin d’être libre de pouvoir travailler ailleurs : elle m’a été refusée.

Depuis ma suspension, les incohérences deviennent même de plus en plus absurdes, quand je vois des collègues vaccinées et malades du Covid travailler tandis que je suis en bonne santé à la maison. Depuis plusieurs mois, il est reconnu que le vaccin n’empêche ni la contamination, ni la contagion. Mais le président crie haut et fort qu’il va emmerder les non-vaccinés jusqu’au bout ! Donc je ne me fais pas d’illusions. Il a bien en tête de faire de nous des parias en nous privant de nos droits fondamentaux.

Je n’ai jamais été contaminée par le Covid (et ce n’est pas faute d’avoir cherché à être malade et d’avoir été cas contact de très nombreuses fois) et je n’ai donc pas pu bénéficier d’un certificat de rétablissement me permettant de retravailler à l’hôpital.

Je suis à ce jour toujours suspendue ! Je vis grâce aux quelques économies faites au fil des années pour payer les études de mes enfants. J’ai la chance d’avoir une maison sur laquelle je n’ai plus de crédit. Mes parents me viennent en aide et me soutiennent lorsque les fins de mois sont un peu difficiles. La générosité d’un couple de maraîchers, d’une boulangère et les paniers alimentaires offerts par de formidables personnes rencontrées lors de rassemblements sont également une aide si précieuse. Nous nous organisons entre suspendus et citoyens résistants pour nous soutenir mutuellement. J’ai rencontré des personnes qui partagent les mêmes valeurs, les mêmes opinions et ça fait chaud au cœur de savoir qu’ils sont là, dans un soutien inconditionnel. Merci à Eux, pour tout ça !

Je ne regrette pas d’avoir fait ce choix, voilà un an maintenant. Je me suis respectée tout simplement. J’ai vogué à contre-courant, certes, mais jamais à contre cœur et j’ai fait ce qui était juste pour moi. Alors oui, depuis ce temps je suis une dissidente. C’est ce qui m’a permis de ne pas me perdre, de ne pas abandonner mes principes, de renforcer mon éthique professionnelle et de ne plus cautionner un système de santé qui a perdu ses valeurs fondamentales.

Je suis empêchée de travailler comme psychologue, mais ils ne sont pas parvenus à éteindre ma flamme d’accompagner et de prendre soin de l’autre et ce, toujours dans ce même élan du cœur : là est l’ESSENTIEL ! Osons accompagner et prendre soin « Autre’Aimant…» Trois points de suspension.

Témoignage recueilli le 15 septembre 2022

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LA REINTEGRATION ?

Depuis le vote à l’Assemblée le 4 mai dernier en faveur de l’abrogation de l’obligation vaccinale contre la Covid 19 dans les secteurs médicaux, paramédicaux et d’aide à la personne, je m’étais préparée à la possibilité d’être réintégrée dans mes fonctions.

Pourtant, l’annonce de notre réintégration a ravivé toute une palette d’émotions et de sentiments déjà éprouvés ; ce fut comme si cette nouvelle réactivait la souffrance vécue au début de la suspension.

Et puis, quelles allaient être les conditions de notre retour ? Nul n’en parlait… Comment abandonner l’identité imposée de « suspendue » au profit de celle de « réintégrée » sans un travail de fond sur nos blessures et nos souffrances et en faisant l’économie d’un travail de remise en liens avec nos pairs restés en institution ? Toutes ces questions restaient en… suspens.

Comme tous les suspendus, j’attendais avec impatience que l’abrogation de la loi du 5 août 2021 soit votée au Sénat. Mais le 14 mai, c’est un décret qui est venu suspendre l’obligation vaccinale ; nous allions ainsi être réintégrés… du moins provisoirement.

J’ai été convoquée le 15 mai 2023 à un entretien de réintégration avec la DRH et la directrice des soins de l’hôpital dans lequel je travaillais. Cet entretien a été des plus expéditifs : 5 min. L’accueil de la DRH a été glacial. J’ai été sommée de prendre mon poste le 15 mai après-midi ou au plus tard le lendemain. Ma réintégration était prévue dans les mêmes services et avec la même quotité de temps de travail qu’avant ma suspension. La DRH m’a demandé si j’avais eu le Covid, j’ai répondu par la négative et elle m’a prié de prendre RDV au plus vite avec le médecin du travail. Puis elle a mis fin à l’entretien.

En sortant de ce RDV, j’étais abasourdie… Comment allais-je pouvoir travailler de nouveau dans cet hôpital ? Comment porter encore une blouse blanche comme les collègues ? Tout mon corps se raidissait à cette simple évocation. Je suis montée dans ma voiture, j’ai allumé le moteur et j’ai alors entendu le refrain d’une chanson : « On n’enferme pas les oiseaux »… Il ne me fallait pas davantage de signes pour que je sache que ma place n’était désormais plus à l’hôpital.

Le soir-même, j’écrivais une demande de rupture conventionnelle en expliquant mon incapacité à reprendre mon poste à l’hôpital. Les jours qui ont suivi ont été éprouvants aussi bien émotionnellement que psychologiquement.

Après quelques jours, j’ai reçu la réponse à ma demande de rupture conventionnelle : elle m’était refusée (comme pour mes deux précédentes demandes, à la différence que, cette fois-ci je n’ai pas été conviée à un entretien).

J’ai été mise en demeure de reprendre mon poste le 15 juin mais je ne me suis pas présentée. Le 26 juin j’ai donc été radiée des cadres pour abandon de poste et à présent je ne suis plus fonctionnaire. Pour moi, tout cela prenait la forme d’une désintégration. Je suis partie sans aucune indemnité puisque les démissionnaires n’ont droit à rien. La désintégration a succédé à la suspension et un nouveau travail de deuil a été nécessaire.

Je ne regrette rien de mes choix : j’ai refusé la vaccination et je n’ai pas souhaité la réintégration telle qu’elle se présentait. Depuis ma radiation des cadres de la FPH (Fonction Publique Hospitalière), je me sens libre et totalement en accord avec mes valeurs et mon éthique professionnelle.

Aujourd’hui, j’ai fait le choix de travailler à mi-temps en libéral en tant que psychologue. J’ai choisi de débuter le 15 septembre prochain… Histoire que cette date symbolise une re’naissance.

Je continue également de travailler auprès de personnes âgées en tant qu’aide à domicile en CESU (Chèque Emploi Service). J’ai commencé cette activité en novembre dernier pour pouvoir subvenir aux besoins de ma famille et c’est une activité que j’apprécie.

Les propositions pour travailler en institution ne manquent pas, mais tant que la loi d’obligation vaccinale n’est pas abrogée je ne m’engage pas. Et puis… les traumatismes de la suspension et de la désintégration ne sont pas totalement guéris… et les préjudices subis n’ont pas été reconnus.

Je continue de jouer avec la troupe « Les Indispendues » notre pièce de théâtre « En marche ou crève » qui raconte le vécu des résidents d’EHPAD et des patients durant cette « pandémie », et notre résistance. Ce travail d’écriture et de mise en scène a été thérapeutique. Aujourd’hui, cette pièce de théâtre est devenue un devoir de mémoire…

Complément de témoignage recueilli le 11 septembre 2023

A démissionné de la fonction publique. Va s’installer comme psychologue à mi-temps en libéral et continue dans l’aide à domicile auprès des personnes âgées.