Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Gildas

Aide-soignant (Grand Ouest)

« Je m’en vais maintenant écrire les futures pages de ma vie. »

Gildas a 38 ans, célibataire. Il a été suspendu le 6 octobre 2021, après 4 années d’exercice.

Le Covid a été pour moi une période de changements à tout point de vue, dans ma vie professionnelle comme personnelle. Je crois qu’une partie de moi n’est plus et ne sera plus jamais, une autre a pris la place pour le meilleur. Je témoigne ici pour faire part de mon vécu et expliquer pourquoi beaucoup de structures sont en pénurie de personnels aujourd’hui, et pourquoi il y a de plus en plus de déserts médicaux.

J’ai été diplômé aide-soignant en Juin 2017 et j’ai commencé à exercer en Juillet. Cette fonction me plaisait, même si je sentais déjà que quelque chose n’allait pas. Un manque de moyens, de budget via les dotations de l’État fragilisait les services et surtout la prise en soin des patients.

Entre Juillet 2017 et Septembre 2019, j’ai eu l’occasion de changer de structures et de services, ce qui m’a permis de constater un peu plus le manque de moyen et la fatigue physique et morale de beaucoup de soignants. Durant le mois d’octobre 2018, un burn out s’est déclenché. J’ai été en arrêt 3 semaines. A ce moment-là, j’ai pris la décision de chercher à élargir mes compétences en matière de soins. Je savais que je n’exercerais pas ce métier à vie. J’ai fini par trouver, et en Septembre 2019 j’ai débuté une formation dans le bien-être, qui allait me permettre de proposer d’autres types de soins aux patients (ce que j’ai eu l’occasion de faire).

LA CRISE

Décembre 2019, alors que j’étais en stage, je voyais des chroniqueurs et journalistes de télévision parler d’un virus en Chine, qui faisait penser au SRAS. Je restais serein car il y avait déjà eu beaucoup d’épidémies difficiles à gérer pour les équipes soignantes. Je gardais confiance. Lorsque l’être humain est prêt à avancer et souhaite aider son prochain, il est capable de déplacer des montagnes, surtout quand il s’agit de santé.

Les fêtes de fin d’année passèrent avec le Covid, puis janvier 2020, sans que l’on s’en inquiète. Une nouvelle manière de parler et un changement de vocabulaire se firent entendre. La peur commençait à s’immiscer dans le vocabulaire des chroniqueurs, journalistes, et médecins de plateau. J’achevais ma formation en février 2020, validée par une certification. Ayant puisé dans mes économies, je fis le choix de retourner travailler en tant qu’aide-soignant. Je m’occupais de personnes âgées à cette époque et essayais de faire attention, comme pour un rhume ou une grippe, bien que le port du masque n’était pas encore obligatoire. Mars 2020, tout a changé, la peur s’était imprégnée dans chaque mot. La tension était palpable. Pourquoi cette épée de Damoclès au-dessus de nous ? Les gens n’osaient plus s’embrasser, se toucher. Prendre dans ses bras les gens que l’on apprécie où que l’on aime est sans doute à mes yeux la plus belle marque d’amour et de respect qui soit, que ce soit avec notre famille, nos amis, nos collègues de travail, ou la personne qui partage notre vie.

Puis il y a eu le discours de ce fameux jeudi soir. Contre quoi et contre qui étions nous en guerre ? Contre nous-même ? Contre nos familles ? Contre nos amis ? Contre nos enfants ? Contre toute personne que l’on chérit ?

Moins d’une semaine après, la mise sous cloche du pays était décidée. Lorsque les gens ont compris qu’ils seraient enfermés à domicile et devraient disposer d’un laisser-passer pour sortir, j’ai perçu la panique chez beaucoup. Des pâtes, du papier toilette, de la farine, de l’essence, et d’autres denrées… La folie s’était emparée de beaucoup, au point que les gens s’insultaient pour un rien et commençaient à avoir peur les uns des autres. Jusqu’ici l’être humain avait peur de la mort et de la vieillesse, à présent il avait peur de la vie. Comment pouvions-nous en arriver là, perdre le vivre ensemble qui est au contraire un moyen de se soutenir ?

Les médias mainstream balançaient à longueur de journée des nouvelles terrifiantes, à tel point que certains médecins en service prescrivaient sur leur ordonnance : « STOP BFM ». La peur avait définitivement remplacé le bon sens. Masque ou pas masque ? Gel ou pas gel ? Quel protocole pour le lavage des mains ? Comment désinfecter les animaux ? (certains ont mis du gel hydroalcoolique sur les pattes… imaginez la colère des vétérinaires).

Au travail on ressentait la tension, aussi bien entre soignants et soignés qu’entre soignants. Il fallait être au maximum et confiner les personnes âgées en chambre. Beaucoup se sont d’ailleurs laissé mourir. Je me souviendrai toujours de ce que m’avait dit cette personne, enfermée dans sa chambre : « Ce n’est pas votre Covid qui va nous tuer, c’est votre confinement ! » Elle s’est laissée mourir peu de temps après. Une autre, qui a survécu, me disait : « Si on doit attraper le Covid, ça sera comme ça, point. » Beaucoup en avaient marre, soignants ou soignés. Peu de tests, peu de masques. Des organisations de service invivables pour le personnel comme pour les soignés. Je saturais de ce climat. Le bon sens avait disparu. J’ai attrapé le Covid début Avril 2020, je n’en étais pas encore certain, mais ma hiérarchie me mettait la pression pour que je fasse un test rapidement. Je contactais les différents centres hospitaliers et finalement j’en ai trouvé un pour faire ce fameux test PCR.

J’avais toujours avec moi une boîte de masques chirurgicaux, par précaution. Je me suis dirigé vers le lieu de prélèvement avec la fatigue due à la maladie et la température extérieure qui commençait à monter. J’ai fini par faire un malaise dans un couloir de l’hôpital, j’ai été admis aux urgences, puis en service d’hospitalisation de courte durée, qui était loin d’être débordé. Plusieurs examens ont été nécessaires (prise de sang, gaz du sang, radiographie des poumons, et enfin PCR) pour trouver un résultat positif au covid. Dieu merci, je ne suis pas resté trop longtemps en chambre, en isolement. Je suis resté me reposer quelques semaines chez moi, le temps que le virus passe et que je récupère petit-à-petit au niveau cardio, n’ayant plus de souffle à l’activité physique. Je me suis complémenté en vitamines C et D, ainsi qu’en plantes médicinales et infusions. J’ai repris le travail en CDD début juin 2020, dans une structure d’accueil pour personnes âgées, le temps de trouver un CDI.

J’ai été embauché un mois après, dans la structure au sein de laquelle j’ai fini par être suspendu. J’ai commencé à trouver mes marques durant les deux mois d’été 2020. De nouvelles mesures face au covid étaient imposées, malgré beaucoup de contradictions entre politiques et médecins de plateau. Le port du masque, à l’intérieur d’un bâtiment ou non ? Et les systèmes d’aération ? Je pensais que nous en aurions terminé. Le gouvernement affirmait que le pays pourrait faire face à une deuxième vague, alors que le nombre de lits avait diminué et allait continuer de baisser petit à petit. Par ailleurs le prix des masques avait explosé. J’avais trouvé des masques en tissu sur un site internet à 18 euros l’unité, non, je ne plaisante pas ! L’été est passé, des bruits de confinement commençaient à revenir. Sur certains plateaux d’émission TV on entendait que des entreprises se préparaient au second confinement.

Et le couvre-feu est arrivé… avec ses laissez-passer, et quelque temps plus tard le second confinement. Où étaient les lits supplémentaires de réanimation prévus ? Pas de réponse.

Je n’étais pas partant pour renouveler l’expérience du confinement en automne-hiver. Le temps était long, très long, petit-à-petit le covid semblait devenir une religion pour beaucoup de chroniqueurs et de médecins de plateau. Il fallait du covid à fond, de la peur !!! C’est ce qu’ils généraient par leurs propos et cela fonctionnait. Dès qu’il y avait une quinte de toux ou un nez qui coulait, la psychose s’emparait des responsables d’établissement et des cadres. Il fallait tester tout de suite et isoler en cas de contamination. Étonnement, ni grippe, ni rhume cette année-là, ou très peu… 2021, le vaccin anti-covid à ARNm arrivait, qui devait empêcher la transmission et stopper l’épidémie. Bref, la panacée.

LE VACCIN ?

Je précise que je ne suis ni « Antivax » ni « Provax », ni encarté, ni affilié à un parti politique. Le consentement libre et éclairé est un droit qui nous est propre et qui est prévu dans des textes qui sont des piliers pour notre société (déclaration d’Helsinki, Code de Nuremberg entre autres). Il se doit d’être respecté. Chacun doit être libre de ses choix, sans contrainte, de quelque nature que ce soit et quel que soit le contexte. Personne ne devrait être jugé ni mis à l’écart pour des choix qui lui sont propres.

Se vacciner était un choix que j’avais fait pour la grippe (pour l’hépatite B j’ai dû faire les injections afin de rentrer en formation d’aide-soignant et j’ai reçu l’injection pour le H1N1 en 2009).

Dans les premiers mois de l’année, j’ai fait un second burn out dû à la charge de travail de plus en plus lourde et au manque d’implication de la direction de mon établissement envers les soignants et leurs difficultés sur le terrain. A force de rentrer épuisé et de ne pas dormir cela devait arriver. S’en est suivi une dépression peu de temps après.

Dehors la vie était morose. Le couvre-feu était en vigueur et les gens étaient tristes, bien tristes, même si certains bravaient les interdictions de regroupements ou de réunions (1).

Les médias s’acharnaient toujours autant sur les soignants et sur toute personne ne souhaitant pas être vaccinée. Nous étions devenus des boucs émissaires. Vint ensuite le troisième confinement, jusqu’à la réouverture des lieux déclarés « non-essentiels » par les hautes instances nationales. La société française se divisait, ce qui me rappelait les paroles d’une chanson de Jean-Jacques Goldman : « Et qu’on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps, d’avoir à choisir un camp » (2).

LA SUSPENSION

La vie allait pouvoir reprendre, enfin presque… Environ deux semaines après les cas de covid remontaient. Le 12 Juillet 2021, le couperet tombait. Tout personnel soignant non vacciné serait suspendu à partir du 15 septembre 2021. C’est à dire plus le droit d’exercer son métier. Je n’oublie pas les autres professions touchées et les employés soumis à cette injonction. Cette déclaration a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour beaucoup de soignants. Nous avions donné le maximum pour prendre soin des autres durant un an et demi, malgré les consignes et les ordres contradictoires que nous recevions, à s’en arracher les cheveux et à se déchirer entre collègues soignants. Et là, on nous en demandait encore plus, sans respecter notre choix et surtout en niant notre droit au consentement libre. C’en était trop, pour moi c’était NON. Les médias nous ont ensuite mis dans une case et traités de tous les noms. Cela n’aurait jamais dû arriver, la pédagogie, l’écoute, l’empathie et le respect d’autrui font partie des valeurs fondamentales et de l’éthique de la médecine.

C’est à ce moment-là que j’ai redécouvert les manifestations. Je crois que de toute ma vie, je n’ai jamais été aussi en colère. Quand j’allais travailler j’avais même une playlist qui traduisait beaucoup mon état d’esprit à cette période (Twisted Sisters – We’re not gonna take it, Kery james – Racailles, Keny Arkana – la Rage, Rage Againt The Machine – Wake up, entre autres). Il y eut énormément de manifestations dans tout le pays à cette période, beaucoup de gens battaient le pavé, mais la loi fut quand même validée, le 5 août 2021, ce qui n’empêchait pas les manifestations de se poursuivre. Au final, beaucoup ont été suspendus le 15 septembre 2021. En ce qui me concerne j’avais posé mes vacances, pour moi ce fut le 6 octobre 2021.

En France, des soignants qui aimaient leur métier étaient devenus jetables, du prêt à consommer et à jeter. Quelle hypocrisie ! Nous étions applaudis un an et demi auparavant, rejetés ensuite. Et les déserts médicaux continuent de s’étendre !

Le calvaire commença à ce moment-là. Étant suspendu dans le secteur privé, je suis allé chercher du travail. J’en ai trouvé grâce à un ami qui m’a conseillé une agence d’intérim et quelques employeurs. Durant plusieurs mois j’ai travaillé pour différentes entreprises, en tant qu’ouvrier ostréicole, maraîcher, ouvrier sur une ligne de tri mytilicole, employé en magasin bio, employé dans une usine de conditionnement de truites et saumons, ouvrier du bâtiment, employé pour une société de déménagement, agent recenseur, agent de cantine scolaire, et plongeur chez un traiteur.

Les horaires variaient, la fatigue physique et psychologique se firent ressentir avec le temps. Mais pas le choix, n’ayant plus beaucoup de ressources financières je devais y aller, à n’importe quel prix et à n’importe quelle heure. A la fin de l’année 2021 j’avais beaucoup de colère en moi, avec le sentiment d’être oublié. A cette période, des soignants vaccinés et positifs au covid pouvaient aller travailler pour pallier le sous-effectif de structures en France. Début 2022, la suspension devenait difficile à accepter. Je croyais vivre « Un Jour Sans Fin ». Rien ne changeait, le cauchemar continuait. Même si j’aimais la prise en soin, je n’aimais pas ce qu’était devenu mon métier, ni la structure qui m’avait suspendu. Début 2022, j’ai commencé à douter profondément de moi. Beaucoup de collectifs se sont organisés pour aider les personnes suspendues au niveau alimentaire, financier et psychologique. J’ai pu ainsi bénéficier de ces trois types d’aide, avec des creux dans mes missions d’intérim et des fins de mois difficiles. Cette période fut éprouvante psychologiquement. Je ne me retrouvais plus. J’étais triste et dépressif. Quand je me regardais dans le miroir, je ne me voyais plus, c’était un étranger qui était face à moi. Pour être honnête, je n’avais plus aucune envie de lutter. J’en avais assez. Même la playlist de l’époque allait dans ce sens (Stromae – l’Enfer, Orelsan – Jour Meilleur). Je craignais ne pas pouvoir payer mon loyer, voire d’être expulsé. J’ai une pensée pour une infirmière suspendue durant cette période, que j’ai eu l’occasion de croiser et qui avait dû quitter son logement. Elle a mis fin à ses jours.

A cette époque, je travaillais comme agent recenseur et agent de cantine municipale pour les écoles. La ville qui m’employait était en bord de mer. A ce moment-là, j’ai eu des idées de suicide. Certains soignants (et autres personnes suspendues) étaient passés à l’acte. Là où j’étais, il y avait des arbres et des falaises il m’aurait été facile de le faire. Mais quelque chose me retenait, je n’y arrivais pas. J’essayais, mais je n’avais même pas la force. Tout ce que je voulais, c’était que ce cauchemar s’arrête. Je pleurais souvent à cette période. J’essayais autant que possible de garder des sous sur le peu qu’il me restait, et parfois je ne mangeais pas à ma faim certains midis. Quand l’employeur fournissait le repas, je mangeais plus que de raison, surtout pour faire des réserves, comme un réflexe archaïque de survie. J’ai pris beaucoup de poids à ce moment-là et plusieurs mois après j’ai gardé ce réflexe de survie, malgré moi.

Je déprimais et je sentais intérieurement que je n’avais plus aucune émotion envers qui que ce soit, ou envers quoi que ce soit, même si mon attitude pouvait faire penser le contraire.

Je fais une rapide parenthèse sur les enfants et les adolescents qui ont subi cette crise covid. Testés régulièrement, masqués, confinés chez eux pour un seul cas dans la classe, certains rentraient traumatisés à la maison. Cela leur a laissé des marques et ils les portent encore, même si elles ne se voient pas. J’ai dans mon entourage un jeune dont la mère est médecin. Il stressait beaucoup et craignait de ramener le covid dans sa classe, au point de passer 15 minutes, régulièrement, à se laver les mains et les avant-bras, qui devenaient rouges à force de frotter. S’en est suivi pour lui plusieurs mois de séances chez un psychologue pour l’aider à gérer ses angoisses.

RENNAISSANCE

Mais un événement est survenu. De temps en temps, par le site Pôle Emploi je jetais des bouteilles à la mer, on ne sait jamais… J’ai donc postulé pour un hôtel et un jour, en début d’après-midi, j’ai eu un coup de fil, le coup de fil, qui, je crois, a changé ma vie à tout point de vue. J’allais pouvoir travailler, pour la saison, en hôtellerie (voir un peu plus selon les besoins). Un milieu qui m’intéressait, et qui me plaît encore actuellement. C’était ma future cheffe de service qui m’appelait, elle me proposa un entretien pour la semaine d’après, à un poste de 6 mois en tant que vacataire, voire en CDD à la suite. L’entretien s’étant bien passé, je commençais la semaine suivante, un jour après la suspension du pass sanitaire.

En rentrant dans ma voiture j’ai pleuré de joie. Moi qui croyais ne plus ressentir aucune émotion, je retrouvais la joie. Me voilà de nouveau à travailler en équipe et pour plusieurs mois. Ce n’était pas simple de cacher mon statut de suspendu, j’avais peur, peur d’être jugé, pointé du doigt, rejeté. J’ai commencé à reprendre un rythme de vie normal avec un salaire complet à la fin du mois. Petit à petit, je sortais de nouveau, je retrouvais le sourire et des amis que je n’avais pas revu depuis longtemps. Avec ma famille j’ai pu renouer des rapports qui avaient été compliqués à certains moments. J’ai aussi pu prendre de nouveau dans mes bras des membres de ma famille, deux ans que cela n’était pas arrivé ! Je garde cet instant magnifique en mémoire.

Durant l’été 2022, j’ai repris le sport avec plaisir et perdu du poids. J’étais à nouveau moi-même, mais je cachais mon statut de suspendu. Je l’avais mis dans un coffre et le coffre dans un trou. J’ai profité pleinement de cet été, malgré la chaleur. Cela faisait des années que je n’avais pas éprouvé la sensation d’aller au travail avec le sourire. Mais aussi, quel bonheur d’avoir des responsables de direction qui viennent dire bonjour avec le sourire, ou nous serrent la main chaleureusement !

15 septembre 2022, anniversaire de la suspension. Ce jour-là je ne me sentais pas très bien. Je pensais à mes collègues soignants. D’ailleurs certaines vidéos (3) montraient ce qu’il se passait réellement. Je gardais le cap malgré tout, j’aimais mon nouveau travail, j’y avais trouvé une sérénité comme nulle part ailleurs au niveau professionnel.

Fin d’année 2022, j’ai eu la chance de rencontrer les docteurs Carole et Louis Fouché en conférence, dans le cadre de la projection du film « SUSPENDUS… Des soignants entre deux mondes » (4) et les échanges ont permis de poser certaines choses., de rassurer, de voir le monde de demain sous un autre jour, malgré la peur que certains voulaient nous imposer. J’ai eu l’occasion de parler avec Louis Fouché. Un beau moment que je garde en mémoire. L’année 2022 se terminait, et en 2023 j’ai eu l’occasion de me rapprocher de mon lieu de travail et de faire du tri. Un tri qui m’a permis de remettre la main sur une blouse blanche, dans mes vêtements professionnels. La colère était toujours là. Cette blouse, que je portais fièrement à une époque, me donnait la nausée. J’ai fini par la jeter dans une poubelle. Nous avions tellement été appelés les blouses blanches que j’en ai eu assez. Je ne souhaitais plus être rattaché à cette identité. J’ai eu aussi l’occasion de voir le documentaire « Tous résistants dans l’âme » (5), qui nous présente le parcours de Louis Fouché et de Stéphane Chatry, ainsi que leurs rencontres avec différents acteurs aspirant à créer des choses nouvelles (artistes, permaculteurs, naturopathes, etc…). Le soir où j’ai vu le film, un échange a eu lieu par la suite avec la salle, où Stéphane Chatry nous faisait part de son expérience, avec Louis Fouché, d’avoir été traité de partisans d’extrême droite, de complotistes, etc. (6). Il est plus facile de traiter de tous les noms quelqu’un qui semble ne pas penser pas comme nous, voire de le détester, que d’essayer de le comprendre, de l’écouter, de l’apprécier, de l’aimer. « Si tu ne penses pas pareil que moi, tu es mon ennemi et je vais tout faire pour te censurer ! ». Sommes-nous encore Charlie ?

Cette année-là, la loi sur la suspension des soignants fut suspendue. En ce qui me concerne, j’avais déjà pris mes dispositions bien avant, vis à vis de la structure qui m’avait employé et suspendu ensuite.

Un peu plus tard dans l’année, je suis passé de l’autre côté de la barrière suite à un souci de santé, me menant à une intervention. Et là, j’ai pu voir la réalité. Oui, nous manquons cruellement de soignants. Et nous en avons plus besoin que jamais.

Fin septembre 2023 mon contrat de travail se terminait pour cause de baisse d’activité en fin de saison. J’avais donc le choix, être au chômage ou reprendre mon poste de soignant. J’ai choisi la deuxième solution. En octobre 2023 (quelle date anniversaire !), j’y suis retourné et ce n’était pas simple. Je pensais ne pas y arriver, mais j’ai réussi, j’ai affronté cette peur. J’ai eu l’occasion, en tant qu’intérimaire et remplaçant, d’aller dans plusieurs structures et services et de m’adapter sans trop de difficultés aux différents rythmes.

J’ai retrouvé ma fonction de soignant, mais je voyais bien qu’en deux ans il y avait eu du changement. Soignants démissionnaires, pénurie de personnels (suspensions, démissions, mises en disponibilité, reconversions), responsables de sites blasés, manque de personnels sur certains horaires (un cas parmi tant d’autres : 2 soignants au lieu de 5 pour un service). Cela m’a épuisé. Avec la pluie et les tempêtes, la météo n’était pas au top. Je finissais par ne plus faire grand-chose et procrastinais. Je savais qu’un poste m’attendait à l’hôtel où j’avais travaillé et je me posais la question : le fait d’être redevenu soignant valait-il le coup ? Mais j’ai fini par reprendre goût à ce métier d’Aide-Soignant et pallier la fatigue et l’épuisement en trouvant un second souffle, tel un joggeur.

OMBRE ET LUMIERE

En 2024 une chose est arrivée, à laquelle je ne m’attendais pas. J’ai un don de famille, j’ai toujours été sensible aux énergies. J’ai aussi toujours eu un intérêt pour la spiritualité et les études mystiques, de quelque nature qu’elles soient. J’ai vécu ce que l’on appelle une nuit noire de l’âme. Tout ce que j’avais enfermé suite la suspension ressortait. Beaucoup d’émotions très négatives et d’évènements s’étaient également greffés. Même si je ne m’en rendais pas compte les semaines auparavant, je pense que j’étais déjà dedans au mois de Novembre 2023 et je ne le montrais ni aux autres, ni à moi-même. Au final, j’en suis sorti, non pas sans mal, avec le soutien de personnes proches et d’anciens formateurs et praticiens en énergétique, que je remercie de tout cœur.

J’ai mis un point final à cette nuit noire de l’âme à la date anniversaire de ma prise de poste dans l’hôtel au sein duquel je travaille actuellement. J’ai eu malgré tout quelques rééquilibrages à faire après cette date, pour valider définitivement ce cap (1 mois en tout). Voici les liens (7) et (8) pour expliquer ce qu’est la nuit noire de l’âme.

J’ai finalement réintégré mon poste à l’hôtel et je pense parfois à mes collègues soignants en service. Je l’admets, il m’arrive de culpabiliser, mais j’essaie de passer outre ces pensées et d’aller de l’avant. Suis-je à ma place aujourd’hui ? Je pense que oui.

Si je devais laisser un mot sur ces quatre dernières années : Merci. Merci aux personnes des collectifs (dont certains sont devenus des amis) de m’avoir accompagné. Merci de tout cœur à ma famille (même si à certains moments ce n’était pas simple), à mes amis qui m’ont écouté et soutenu, merci au photographe, aux praticiens, à mes collègues de travail. Et même merci à cette crise. Elle a fait du dégât, mais elle m’a fait évoluer comme jamais je ne l’aurais pensé (et je ne pense pas être le seul). Elle m’a fait prendre conscience et acquérir des valeurs magnifiques que j’espère un jour pouvoir transmettre, lorsque je serai père. Je remercie aussi cette personne qui m’a dit il y a deux ou trois mois, après un échange et après que j’ai pu percevoir qu’elle portait beaucoup de choses lourdes sur les épaules, que parfois cela était dur mais que l’on vivait avec.

Merci à l’équipe du service dont je fais partie d’être telle qu’elle est, belle et humaine. Merci aux équipes des autres services que je croise régulièrement et où j’ai pu rencontrer de belles personnes. Merci aux responsables d’équipes. Merci aux responsables de direction de m’avoir accepté au sein de l’établissement, de me dire bonjour avec un sourire et de me serrer la main chaque fois que vous me voyez. Cela paraît peu, mais c’est beaucoup.

Amandine, je ne sais pas si tu liras ces mots de là où tu es, mais du fond du cœur, je te remercie. Tu m’as accueilli et accepté tel que j’étais. Tu m’as fait confiance. Tu m’as écouté quand je n’étais pas au top de ma forme. Et à un moment j’ai su que tu avais compris pour ma suspension. Et tu n’as jamais rien dit. Tu ne m’as pas jugé. Merci pour tout, je ne t’oublie pas et je t’embrasse.

Aux personnes qui sont dans l’aide, le service, ou le soin à la personne auprès de clients, si vous avez parmi ces clients des soignants, prenez soin d’eux, plus que jamais. Rappelons-nous que les soignants (le peu qu’il en reste) sont aujourd’hui le dernier rempart face à la maladie, l’invalidité, la vieillesse, voire la mort. Ils se battent pour nous. Alors veillons à être là aussi pour eux.

Aux personnes qui m’ont fait du mal ou qui m’ont dit du mal, je vous pardonne mais je n’oublie pas. Je vous partage ce texte de Padre Pio qui résume mon état d’esprit actuel : « Pardonner quelqu’un ne veut pas dire pardonner son comportement. Ce n’est pas non plus oublier la façon dont il t’a blessé et même pas lui laisser te faire du mal. Pardonner signifie faire la paix avec ce qui s’est passé. Cela signifie reconnaître ta blessure, en te donnant la permission de la ressentir et de comprendre que cette douleur ne te sert plus à présent.
Ça veut dire laisser aller la douleur et le ressentiment pour pouvoir guérir et avancer.

Le pardon est un cadeau à toi-même. C’est une décision, TA décision… Il te libère du passé et te permet de vivre dans le temps présent. Quand tu te pardonnes et que tu pardonnes aux autres, tu deviens vraiment libre. Tu te détaches… Pardonner signifie libérer un prisonnier et découvrir que ce prisonnier c’était toi. »

Cette période nous aura fait changer. Je pense à mes collègues soignants et aux personnes ayant d’autres fonctions qui ont souffert de leur suspension et qui se reconstruisent comme ils le peuvent, et/ou qui souffrent encore de cette situation. Il y a bien entendu d’autres personnes qui vivent des situations bien plus dramatiques dans ce pays et dans le monde, ne les oublions pas ! Je pense aussi aux Hôtels, aux commerces de proximité, aux salles de concerts, aux théâtres, aux bars, aux restaurants, aux lieux de bien-être (thalasso, spa, instituts, etc.) et autres lieux considérés comme « non essentiels » à une certaine période. Personne n’est « non-essentiel » dans une société. Personne ne doit être mis sur le banc, ni jugé, ni méprisé, quelle que soit son opinion, son rang, son statut vaccinal, sa couleur de peau ou encore sa spiritualité, sa religion. Nous sommes toutes et tous des êtres humains, incarnés sur terre pour vivre ensemble une magnifique expérience de vie, d’amour et de partage.

Je m’en vais maintenant écrire les futures pages de ma vie.

 

(1) « DANSER ENCORE » – Gare du Nord – 4 Mars 2021

(2) Né en 17 à Leidenstadt – Jean-Jacques Goldman

(3) SUSPENDUS

(4) SUSPENDUS… Des soignants entre deux mondes

(5) Tous résistants dans l’âme

(6) « Tous résistants dans l’âme » Le Film, Acte 13

(7) Comment se déroule le processus de la nuit noire de l’âme et comment y survivre ?

(8) Nuit noire de l’âme : symptômes et vraies solutions pour en sortir

 

Témoignage recueilli en mai 2024