Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Pascale

Infirmière (Loire)

« J’ai reçu la médaille du travail avec les honneurs. La semaine suivante j’étais suspendue dans l’horreur ! »

Pascale a 54 ans. Divorcée, elle vit seule avec ses deux enfants, un fils de 16 ans à charge et une fille préparatrice en pharmacie. Elle est suspendue depuis le 15 septembre 2021, après 32 années de service.

Je suis, ou plutôt j’étais infirmière. Je ne sais plus vraiment qui je suis, ni comment me présenter, ayant toujours été au service du public. J’ai choisi cette activité et j’ai évolué dans le secteur médico-social, privilégiant la relation à l’autre plutôt que la technique.

Le 09 septembre 2021, j’ai reçu la médaille du travail avec les honneurs. La semaine suivante j’étais suspendue dans l’horreur !

L’établissement public où j’exerçais connaissait des difficultés financières, il a été cédé à des intérêts privés le 1er novembre 2021. De ce fait, j’ai été mutée sur un centre hospitalier qui m’a suspendue à nouveau. J’ai demandé un reclassement (travail en cuisine, lingerie ou autre poste sans contact avec les résidents) qui ne m’a pas été accordé, au motif que l’hôpital a besoin de personnel infirmier. Et pourtant ils se débarrassent de moi !

Depuis janvier 2012, je travaillais dans un établissement accueillant 40 résidents en situation de handicap. L’accompagnement et le soin auprès de personnes handicapées nécessitant de la patience, de l’écoute, de l’observation, de l’altruisme, cela crée un fort lien avec les résidents et leur entourage.

Dès le début de la crise sanitaire j’avais accepté des astreintes administratives environ une semaine par mois, ce qui reflète la confiance de la direction et mon investissement dans ce travail.

En octobre 2020, j’ai contracté le covid 19 au travail. Nous n’avions pas de matériel approprié (3 sacs plastiques à accrocher pour nous faire une surblouse, pas de masque FFP2) pour prendre soin de résidents covid positifs, qui sont dans l’incapacité de porter eux-mêmes un masque. J’ai réalisé des soins de grande proximité, géré une crise d’épilepsie seule pour préserver mes collègues, relevé un résident de 70 kgs tombé au sol… Comme tant d’autres ont pu le faire. Cela s’appelle le soin et la bienveillance.

Le déclin des valeurs s’est amorcé depuis plusieurs années au profit de protocoles et de procédures, qui certes apportent de la sécurité, mais dans le même temps on enlève des soignants au chevet des patients. Depuis 2 ans ce déclin est vertigineux, l’éthique et la déontologie ne sont plus les priorités. La recherche de rentabilité financière par la tarification à l’acte est une préoccupation inconvenante en matière de santé. Lorsque j’étais encore autorisée à travailler, notre petite équipe avait adapté les recommandations gouvernementales Covid afin de limiter le plus possible la maltraitance que pouvaient induire ces directives. Par exemple, nous ne testions pas systématiquement les résidents sortis en consultation ou pour une courte visite en famille, nous privilégions les tests buccaux, nous autorisions les échanges entre les différentes unités de vie et nous avons continué d’étreindre et d’accepter les bisous.

Je ne suis pas anti-vaccination, mais j’ai refusé cette injection expérimentale à cause de toutes les incohérences promulguées depuis le début par le gouvernement et par certains médecins et scientifiques. Je me suis documentée, j’ai recherché et lu avec attention un grand nombre de publications afin de me faire un avis critique. L’interdiction de traiter a grandement augmenté ma méfiance par rapport à la gestion de cette crise.

A l’arrivée des premiers vaccins dans l’établissement où j’exerçais, je fus fort surprise par l’absence de notice. En effet, les flacons étaient livrés seuls dans un carton. J’ai questionné le médecin sur la composition, les éventuels effets secondaires… Je n’ai pas eu de réponse. L’équipe infirmière a refusé d’injecter car la déontologie de notre métier recommande de n’administrer que des produits dont nous connaissons les effets. Par la suite, toutes les modifications de prescription et de conservation n’ont fait qu’augmenter ma réserve sur la fiabilité de ces injections.

Je suis atterrée par la soumission et l’acceptation des soignants à toutes ces dérives. Comment peut-on se soumettre à vérifier un pass pour que des usagers puissent visiter leurs proches alors que le lien social conditionne le rétablissement et le bien-être ? Comment peut-on critiquer un malade qui ne souhaite pas une injection expérimentale ? Comment peut-on réaliser, sans envisager d’autres moyens, des écouvillonnages naso-pharyngés sur des individus vulnérables (enfants, personnes en situation de handicap, malades Alzheimer…), ce qui s’apparente à de la maltraitance ? Pourquoi ne pas respecter la liberté de choix ? Tant de questions me bouleversent, je ne comprends plus mes collègues, qui pourtant partageaient les mêmes valeurs.

A partir du 12 juillet 2021, mes nuits se sont remplies de cauchemars. Quelle violence va-t-on me faire subir ? Quel va être mon avenir et celui de mes enfants ? Je sais que ma décision aura un impact catastrophique sur ma vie sociale, professionnelle et familiale. J’ai un fils à charge et une fille préparatrice en pharmacie, qui sera probablement suspendue. Je leur ai proposé de me sacrifier. L’opposition et la colère qu’ils ont exprimées face à cette éventualité n’ont fait que resserrer les liens que cette société essaie de délier. En revanche, des tensions se créent dans mon entourage proche, qui ne comprend pas mon scepticisme envers cette injection, avec l’éventualité de perdre mon emploi. L’éloignement d’une partie de ma famille proche est une grande douleur. Par bonheur, plusieurs de mes amis me soutiennent et je rencontre dans les collectifs citoyens et soignants opposés au pass une grande humanité, une aide et des échanges précieux.

Mon corps et mon esprit refusent cette injection, je le ressens, c’est viscéral. J’ai fait une sérologie, j’ai toujours des anticorps. Pourquoi vaccine-t-on des personnes immunisées ? Dans l’histoire de la médecine cela ne s’est jamais vu ! Mon médecin traitant ne sait que répondre, il hausse les épaules et dit que c’est ce qui a été décidé et que c’est comme ça. Où sont passés la réflexion et le questionnement ? Je suis dans un tourment perpétuel. J’ai soutenu mes nombreux collègues qui ne souhaitaient pas cette injection et juraient que la personne qui leur piquera le bras n’était pas encore née. Quelle surprise à mon retour de vacances de les retrouver presque tous vaccinés ! Avec les résistantes nous espérions toujours que l’obligation vaccinale ne serait pas réalisable, que nous serions nombreux à résister, rendant impossible ce projet sans que le suivi et la qualité des soins ne soit pas mis à mal. Nous comptions aussi sur l’aide des syndicats, mais ils seront les grands absents de cette crise.

Malheureusement le 15 septembre arrive, avec nos suspensions sans aucune humanité. L’interdiction de dire au revoir aux résidents avec qui nous avons partagé une partie de notre vie est d’une extrême violence. Trente minutes d’entretien suffisent à nous faire passer du statut de soignants bienveillants, essentiels et appréciés, à celui de sous-citoyens précaires et humiliés. Mais notre principale inquiétude concerne les résidents, qui se retrouvent sans service infirmier. Nous ne pouvions pas imaginer que l’on privilégie la suspension des infirmiers à la sécurité et à la continuité des soins. Quelle n’est pas notre surprise d’apprendre que nos collègues acceptent les glissements de tâches… L’absence de solidarité est l’estocade finale.

Mon impression le jour de ma suspension ? Me rendre à un enterrement. Les différentes étapes de deuil qui ont suivi ne sont pas encore terminées. S’y ajoutent le sentiment d’être oubliée, d’être invisible, sans légitimité et les remarques acerbes de certains (« Elle n’a pas à se plaindre, elle n’a qu’à se faire vacciner pour conserver son emploi »). Puis un sentiment d’injustice terrible quand on apprend que les soignants vaccinés positifs au covid doivent poursuivre leur travail auprès des personnes vulnérables alors que nous, même en nous testant régulièrement, nous sommes interdits d’exercer.

Les collectifs citoyens et les vrais amis (ils étaient une quarantaine à m’applaudir à la sortie de ma suspension) permettent de sauvegarder ma dignité et une vie sociale. Les groupes de soignants et les témoignages de scientifiques non corrompus nous confirment que nous ne sommes pas fous. J’ai fait de très belles rencontres, des personnes partageant les mêmes valeurs d’humanité, de bienveillance et de tolérance. Mon carnet d’adresse s’étoffe, mais certaines adresses, très utilisées auparavant, ne sont plus sollicitées. J’ai l’impression d’avoir basculé dans un nouvel univers. Est-ce que c’était mon destin ? En octobre et novembre 2021, pour subvenir aux besoins de ma famille j’ai cueilli des pommes. Ce travail au grand air a largement contribué à mon équilibre et m’a aidée à ne pas sombrer. Je poursuis la lutte pour ma visibilité et celle de mes collègues, qui vivent cette même maltraitance. Le chemin me parait interminable…

Serais-je un jour à nouveau soignante ? Dans les conditions actuelles, c’est NON, il me sera impossible de cautionner la maltraitance institutionnelle, les jugements de valeur et l’hypocrisie. Et pourtant je l’aime mon métier ! Je me questionne tous les jours. Qu’est-ce que je suis capable de faire, sinon d’être infirmière ? Quelles sont mes compétences ? Je suis incapable de me projeter et d’imaginer un avenir.

J’ai hâte que le printemps arrive, que les fruits mûrissent, que leur cueillette me permette d’aérer mon esprit, de me saouler de gestes répétitifs, me faisant oublier cet état d’indifférence totale dans laquelle nous, les suspendus, sommes tombés. Et de pourvoir aux besoins de ma famille.

Témoignage recueilli en avril 2022