Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Nicolas

Masseur-kinésithérapeute (Côtes d’Armor)

« Comment va-t-on pouvoir revivre et retravailler tous ensemble ? »

Nicolas a 41 ans, il est masseur kinésithérapeute en hôpital public depuis 17 ans. Il vit en couple et a deux enfants de 14 et 17 ans. Suspendu depuis le 23 septembre.

Début 2020, j’étais au courant de ce qu’il se passait en Chine, on commençait à fermer les aéroports, mais j’étais assez confiant. Je me disais « depuis des années on lutte contre la casse du service public, la fermeture de lits, ça va être compliqué à gérer, mais on va gérer ». Puis, on apprend que dans les aéroports, ils font n’importe quoi. En tant que soignants on se dit c’est aberrant, si c’est très contagieux, on fait attention. On commençait déjà à marcher sur la tête.

Le premier confinement, je le comprenais, je le trouvais logique.  Mais, chez nous en pédiatrie, tous les enfants ont été retirés du service, sauf ceux qui étaient hospitalisés. Les consultations étaient finies. Nous étions nombreux à l’arrêt, chez nous, à ne rien faire. En même temps, dans d’autres régions c’était la galère. J’étais sur les listes de personnel prêt à venir aider. « C’est la guerre », mais non, on ne nous appelle pas. L’administration ne savait pas comment faire.  C’est nous, qui avons tout géré. Nous avons fabriqué nos propres masques en tissu. Nous avons proposé de nous rendre chez les familles pour faire les soins. Cela a été accepté et nous étions contents. J’ai ainsi pu prodiguer mes soins à domicile jusqu’à la fin du confinement. On avait un peu peur de ramener le virus à la maison, mais on entendait qu’à l’hôpital ça ne flambait pas, ça nous rassurait. J’ai vu une de mes collègues touchée par le virus et qui a fait un Covid long avec des problèmes cardiaques, mais ce fut l’un des rares cas autour de moi.

Puis, arrive le vaccin… Très vite on a commencé à se dire « Ah ils ont financé les laboratoires, ils vont nous sortir le vaccin à Arn messager, depuis le temps qu’ils cherchent à l’imposer ! ». Je n’étais pas chaud pour différentes raisons : j’ai une forte immunité naturelle, je n’ai jamais attrapé ni transmis la grippe, malgré mes contacts à l’hôpital. Au cours de mes études, j’avais appris qu’il y a les vaccins pour les gens fragiles, et l’immunité naturelle pour les autres. L’ensemble des deux fait une immunité collective. Dans mon service, très peu voulaient y aller : « il n’y a pas de malades, on ne va pas se soigner pour un truc qui n’existe pas ». J’avoue cependant que, si je m’étais trouvé dans une autre région, j’aurais peut-être envisagé les choses sous un autre angle. Beaucoup de mes collègues n’avaient pas envie de se faire vacciner jusqu’à ce qu’ils entendent parler du passe « sanitaire ». La plupart ont entièrement confiance en l’institution et les labos. Pour moi, les labos ce sont avant tout des industriels et leur but c’est de vendre. Je n’avais pas spécialement peur du vaccin, mais quand j’ai entendu dire que les laboratoires refusaient de prendre la responsabilité, j’ai commencé à tiquer.

Je pensais que l’obligation vaccinale n’arriverait jamais. C’est un traitement expérimental, il y a plein de garde-fous, ce n’est pas légal. J’étais super serein par rapport à ça. Arrive le 12 juillet… Et là, je m’effondre. Je ne parle plus, je ne dors plus, je ne mange plus, je ne peux plus rien faire. Cela est arrivé alors que j’entamais 3 semaines de vacances… J’ai perdu 8 kilos. A mon retour dans le service, c’est l’été, je suis tout seul, je donne le change. Je me dis c’est du flan, je pars dans un bras de fer et je ne lâcherai pas. En tant que kiné, nous sommes très autonomes, cela fait partie de notre formation. Nous décidons et rendons compte aux médecins qui valident ou pas. Les infirmières ou aides-soignantes n’ont pas le même rapport avec la hiérarchie. Les médecins leur ont mis beaucoup de pression, elles ont vécu une véritable torture psychologique. Elles ont tout donné et du jour au lendemain, elles ont été traitées de mauvaises personnes qui ne respectent pas les autres. Les autres c’est ma vie. Si le fait d’être vacciné protégeait vraiment les autres, bien sur que j’y serais allé. Sauf qu’il n’y avait aucun argument réel qui allait dans ce sens.

Je ne me suis pas fait « vacciner ». Ma femme, ergothérapeute dans le même établissement, non plus. Cependant, l’injection étant plus à risque pour elle, j’étais prêt à me faire piquer si la pression financière était trop forte. Et puis, ça a été trop dur, le stress, la peur pour l’avenir, pour nos enfants. L’aînée de nos enfants passe le Bac cette année et aimerait pouvoir faire des études de droit. Ma femme n’a pas résisté à la pression, elle s’est fait injecter, et moi je l’ai vécu très mal. Mais, j’ai décidé de tenir le coup et de rentrer dans la bataille. C’est alors que j’ai rencontré le collectif de soignants et cela m’a fait un bien fou.

J’ai été convoqué à un entretien le 16 septembre. Recevoir le courrier m’a fait un choc terrible. Incapable de bouger, j’ai été mis en arrêt maladie. C’est pendant cet arrêt que j’ai été avisé de ma suspension. Quelques soignants du collectif souhaitaient entamer une procédure judiciaire. Je les ai rejoints ; être ensemble, former un groupe, cela m’a beaucoup aidé. Cela m’a permis de voir autre chose. Aujourd’hui, je participe encore aux manifestations avec le collectif. Moins pour la contestation que pour être visible, pour la liberté, pour le soutien et les échanges.

Après mon départ, j’ai d’abord eu du mal à avoir des contacts. Je savais que certains avaient envie d’appeler mais n’osaient pas. Une de mes collègues a affiché mon numéro de téléphone dans la salle de repos et alors j’ai reçu de nombreux messages, dont une lettre sur mes qualités professionnelles, qui m’a fait beaucoup de bien. On avait beau dire que ça n’était pas une sanction professionnelle, on ne pouvait le vivre autrement. J’ai eu beaucoup de soutien. Beaucoup de proches avaient le même point de vue, donc c’était plus facile.

Récemment je viens d’être déclaré positif, je devrais donc pouvoir retourner travailler à l’hôpital pour quelque temps. J’ai le service public dans le corps, dans le sang, mais cela a été cassé. L’institution ne nous a pas protégés alors que je pensais que tout le monde serait vent debout. Et ça, ça a été très dur à vivre. Je ne sais pas si je serai réintégré à mon ancien poste. Puisque les médecins semblent contents de mon retour, vont-ils se battre ou vont-ils laisser faire ? J’ai beaucoup de mal avec tout ce monde qui a obéi, alors qu’on avait tous les moyens de dire non.

Pour l’administration, nul besoin que je revienne. Le but c’est que ça ne marche pas, c’est que l’on puisse fermer des services parce qu’il n’y a pas assez de soignants. « La porte de sortie la plus simple pour vous c’est la démission », m’a-t-on dit. Pour le service c’est différent, je manque beaucoup. Je voulais y retourner car j’avais l’impression de ne pas avoir terminé, non seulement avec mes patients mais avec mes collègues. Je sais que mes patients ont envie que je revienne, mes collègues aussi. Je veux poursuivre ce travail avec eux, essayer de modifier leur point de vue. Il y en a certains qui bougent, d’autres n’ont toujours pas compris. Je ne leur en veux pas, mais à vivre au quotidien, je sens que ça va être très compliqué, pesant. Un médecin de l’établissement, avec qui je travaillais, a communiqué des noms de personnes non vaccinées à l’administration de l’hôpital en vue de leur suspension… Comment va-t-on pouvoir revivre et retravailler tous ensemble ?