Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Julie

Infirmière (Eure et Loir)

« Sur ma pancarte il y a l’espérance, mais quant à faire des projets, non. On est en mode survie pour l’instant. »

Julie a 42 ans, elle vit en couple et elle a un enfant. Elle exerce depuis 18 ans en hôpital. Elle est suspendue depuis le 20/10/2021.

J’étais infirmière anesthésiste au bloc. Un matin on est arrivé et on nous a demandé de monter un bloc réanimation éphémère pour prendre en charge des malades Covid dans une semaine. On a gardé un bloc partiel pour les autres urgences et toutes les équipes ont été redéployées dans cette réa éphémère. Sur le coup, on nous a fait un petit peu peur en nous expliquant la gravité de la Covid 19 et on s’est toutes demandé pourquoi attendre, comme si de rien n’était, pour commencer à faire fonctionner cette réanimation pour les malades Covid. C’était début mars 2020. Ensuite, du jour au lendemain on a été redéployé sur ces réa éphémères. On a changé nos horaires, nos amplitudes de travail et on a commencé à remplir les lits.

Au départ nous n’avions pas de matériel. Nous nous sommes retrouvés avec des masques FFP2 qui se désagrégeaient sur nos visages, les élastiques ne tenaient pas. Les masques étaient périmés depuis 2010, mais on ne nous l’a pas dit, nous l’avons découvert sur les boîtes. On a eu l’impression qu’on nous faisait prendre des risques. Il faut s’imaginer qu’on ne savait pas à quoi on avait affaire à ce moment-là, ce virus nous était complètement inconnu. On s’est senti démuni, mais rapidement on a eu des équipements, pas par l’hôpital, mais par une entreprise vétérinaire, qui faisait de l’alimentation animale. Elle nous a fourni des tenues tout à fait adaptées.

Ce qui m’a choquée, c’est que les patients nous disaient qu’ils essayaient de joindre le SAMU depuis 5 jours en expliquant qu’ils étaient à bout de souffle. Ils angoissaient de ne plus pouvoir respirer, ils s’achetaient un oxymètre et ils voyaient leur saturation baisser. Ils nous racontaient leur calvaire, ils étaient chez eux depuis une semaine souvent, en train de se dégrader, et les seules consignes qu’ils avaient en appelant le SAMU c’était : « Restez chez vous ». Et ça m’a mis un peu la puce à l’oreille, je m’étais dit « On ne prend pas les malades en charge, les médecins de ville peuvent faire autre chose que de donner cette consigne-là, il y a bien quelque chose à faire ».

Je n’ai pas compris qu’on n’exploite pas du tout les traitements précoces. Quand on a des malades entre la vie et la mort, on explore toutes les pistes pour les sauver. On n’a rien à perdre. Et là j’ai eu l’impression qu’on n’a rien essayé. J’ai senti comme un piège, comme si on était poussé dans un entonnoir, poussé à une seule alternative, le vaccin.

Avant d’arriver ici, j’avais travaillé en Seine-Saint-Denis et on traitait des gens qui faisaient des accès paludéens. J’avais utilisé l’hydroxychloroquine, nivaquine et plaquenil à l’époque, et c’était assez courant. Quand j’ai entendu, au départ, qu’il y avait de l’espoir avec ces médicaments pour traiter la covid, je me suis dit on est sauvé, on va les utiliser. Et une interne m’a dit « Ah non, non, l’hydroxy c’est dangereux ». Elle avait lu ça dans une étude et j’ai été choquée. Je me suis dit « Je l’ai utilisé des années, c’était nocif et je ne l’ai pas su », je n’étais pas bien. J’ai tout de suite cherché, non pas pour remettre en cause ce qu’elle disait, mais pour savoir s’il y avait eu des problèmes sur les patients. Je n’ai rien trouvé, juste une petite toxicité cardiaque, mais anecdotique et je ne voyais pas pourquoi se priver de ce médicament là pour cette raison.

Une autre chose m’a vraiment gênée, parce que j’étais infirmière de réa à la base. C’est le sentiment qu’on ne faisait pas grand-chose aux malades en réa, à part les retourner. On leur donnait du Paracétamol, des héparines de bas poids moléculaire, mais tous n’avaient pas des antibiotiques. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas de traitement en fait. Moi, j’avais vécu l’épisode de grippe H1N1 en réa à l’époque, en 2009-2010, et on essayait des traitements. Mais là, j’ai eu l’impression que non, qu’on ne cherchait pas, qu’on attendait des consignes qui ne venaient pas, et on espérait que les malades s’en sortent naturellement. On les intubait, on leur faisait tous les soins de confort, on leur mettait un cathéter, des perfs, ça oui, mais on ne mettait pas de thérapie en place, et ça… ça m’a gênée.

Côté infos, on ne nous disait rien. C’était étonnant. Mon fils avait 8 mois et je l’allaitais encore. Pour rentrer chez moi le soir, je prenais une douche à l’hôpital et une à la maison avant de m’approcher de lui. Puis je me suis informée de ce qu’il se passait en Chine et quand j’ai appris que les enfants n’étaient pas touchés, j’étais rassurée. J’allais travailler plus sereine, mais mes collègues ne partageaient pas ma sérénité, ils restaient perplexes, ils continuaient à avoir peur. Certains allaient dormir à l’hôtel pour protéger leur famille. Moi je n’avais pas peur. Je fais de l’athlétisme depuis l’adolescence, je passe tous les hivers dehors, je ne tombe pas malade comme ça. Les patients très atteints étaient des gens âgés ou fragilisés par des comorbidités, une obésité, un diabète, une hypertension mal équilibrée. Je n’ai vu personne qui avait mon profil et ça m’a rassurée.

Quand on a été applaudis, j’ai été étonnée, je me disais : « Mais c’est du spectacle ça, à quoi ça rime ? » Et quand on a eu la prime Macron, j’ai dit à mon mari on va la payer très cher. Je ne savais pas comment, mais je me suis dit ça.

J’ai commencé à travailler en décembre 2003 et je vois qu’on ferme des lits depuis des années ; je n’ai entendu parler que de fermetures de lits, de restrictions de matériel, de budget, de personnel, etc. Lorsque j’ai travaillé au bloc opératoire, à Aulnay-sous-Bois, il y a eu 9 postes supprimés en 5 ans. Ce sont des postes utiles, des brancardiers des aides-soignants. Donc j’ai toujours connu ça jusque-là et d’un seul coup, sans qu’on ne demande rien, on nous a donné 1500 euros ! C’est curieux.

A l’annonce de l’obligation vaccinale pour les soignants, j’ai eu le sentiment d’une grande injustice. J’ai fait trois vagues en réanimation covid, et comme d’habitude j’ai soigné les gens comme si c’était mes parents, c’est comme ça que j’ai toujours fait. J’ai pris des risques, j’ai tout donné, j’ai eu des séquelles parce qu’il faisait très chaud. On travaillait derrière des vitres et dans des sacs poubelle en guise de combinaison. On transpirait dedans, on n’avait pas la possibilité de boire comme on le voulait, on travaillait 12 heures d’affilée. Alors j’ai fait des complications d’allaitement, ça n’a pas été une période facile, même physiquement. Donc j’ai vécu comme une profonde injustice les déclarations d’Emmanuel Macron. On avait passé des nuits dans ces réanimations, à tenir la main de malades qui se voyaient partir. J’étais investie comme d’habitude dans mon boulot, je ne me suis jamais plainte de ça, c’est mon boulot, ça me paraissait normal, mais par contre, oui j’ai vécu les déclarations du 12 juillet comme une immense injustice et une forme de chantage.

J’ai eu l’impression que je n’avais pas beaucoup d’alternatives à la vaccination. Je me suis sentie piégée. C’était « Ou tu bosses avec le vaccin, ou c’est la mort sociale ». Mais ça fait partie de mon identité, moi, d’être infirmière, c’est le choix que j’ai fait depuis longtemps. On m’a amputée d’une partie de moi-même.

Ce qui m’a révoltée c’est l’indifférence après les annonces du 12 juillet. Il y a eu des paroles difficiles avec des collègues et ils ont continué à faire comme si de rien n’était. Certains n’ont même jamais abordé le sujet, ils ont fait abstraction de tout ça, malgré la pression que nous subissions. On était deux au bloc à ne pas vouloir se faire vacciner. On a été pris pour des irresponsables qui ne se rendaient pas compte de la situation. Pour eux, on mettait en danger l’équipe ou les malades. Donc pas de solidarité, c’est bien fait pour nous, c’est normal. Il n’y a même pas eu un au revoir, on a travaillé jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’on revienne plus. C’est comme si on s’était évaporé. Sur une équipe de 21 infirmières anesthésistes, j’ai reçu 3 messages. J’ai eu l’impression d’être jetée comme un kleenex, on n’avait pas plus d’intérêt qu’un objet à usage unique dont on se débarrassait.

L’indifférence des gens, c’est un peu comme une hypnose, ils n’ont pas compris la gravité. Lors des manifestations, quand je discutais de ma suspension avec des gens, ils découvraient que je n’avais pas de salaire, que je ne touchais plus rien et que je n’avais droit à rien. Même mes collègues, ils ne le savaient pas. Quand je leur disais « C’est la dernière fois qu’on se voit », ils disaient « Ah bon tu crois ? » Je pense qu’ils ont été surpris, peut-être qu’ils pensaient que ça n’allait pas arriver ou que ça n’allait pas durer.

Je suis arrivée en décembre 2019 dans ce service. Je ne les connaissais pas beaucoup, mais j’ai vu que c’était des gens relativement bienveillants. En fait, je pense que « leur logiciel a été piraté ». Le covid est devenu quelque chose de central dans leur vie et tous ceux qui ne suivent pas le narratif, qui ont des doutes, ou qui ne partagent pas leur peur représentent un danger, ce sont des irresponsables qui ne se rendent pas compte.

Et même si l’hôpital n’est plus submergé de patients, la vie des gens continue à tourner autour de ça, avec leurs enfants, avec les écoles qui ferment à cause d’une contamination, etc. Dans leur vie quotidienne, ils sont soumis en permanence à des contraintes liées aux tests, aux dépistages systématiques et aux protocoles qui se mettent en place partout.

Je refuse la vaccination parce que je n’ai pas trouvé d’argument valable en faveur de la vaccination. Le rapport bénéfice-risque est défavorable pour moi. Au bloc opératoire, on a le masque en permanence, on est capable de protéger nos malades comme on l’a toujours fait. Respecter les règles d’hygiène, ça fait partie des règles professionnelles. Et puis ne pas réellement savoir ce qu’il y a dans le produit… J’ai cherché, mais je n’ai pas été convaincue de ce que j’ai vu, je n’ai pas compris la pharmacodynamique, la pharmacocynétique du médicament. L’ARN messager est utilisé pour la cancéro chez les enfants, ça aide mais ça n’a pas été révolutionnaire. Donc je ne sais pas comment on peut dire que ça va révolutionner les vaccins. Des internes nous ont fait des cours sur la vaccination pour nous rassurer. Ils nous ont dit que l’intégralité du produit restait dans le bras. J’ai trouvé ça limite et en plus les produits ne se révèlent pas si efficaces. Tout ça ma effrayée, ça a produit l’inverse du résultat recherché. Quand je serai convaincue de la valeur ajoutée pour moi, alors ok, mais jusque-là je ne l’ai pas été.

J’ai rebondi, oui, il le fallait bien, on a un petit garçon. On commence à fonder un foyer, il ne fallait pas que ça interrompe tout. Je n’ai pas souhaité prolonger les arrêts maladie pour éviter la suspension, je les ai laissés me suspendre de mon poste et ça m’a permis de m’orienter rapidement vers un autre projet professionnel. J’étais prête à faire n’importe quoi à vrai dire. Ce qui me semblait le plus évident c’était l’enseignement. J’ai de l’empathie pour les jeunes, pour ce qu’ils vivent en ce moment, et de par ma carrière je savais que je serais légitime à enseigner dans les filières sanitaires et sociales. Depuis le 3 janvier 2022, je suis enseignante en lycée. Mais bon, j’ai une sensation de gâchis, surtout quand j’entends qu’il manque des infirmières. Moi je suis en pleine santé, j’étais prête à continuer, je ne pensais d’ailleurs pas m’arrêter.

Je n’étais pas vraiment inquiète pour moi, mais on ne fait plus de projets pour l’avenir, ça nous a freiné. On attend, on vit au jour le jour. Pour l’instant j’ai cet emploi de six mois, jusqu’à la fin de l’année scolaire. Après, on est prêt à voyager, à partir ailleurs. Ce sera toujours plus enrichissant que cette espèce de nouveau monde qu’on veut nous imposer, où les gens n’ont plus de visage, plus de sympathie les uns pour les autres, où chacun est une menace pour l’autre. On ne s’adaptera pas dans ce système-là. Sur ma pancarte il y a l’espérance. Ce n’est pas vivre que d’être constamment confiné chez soi, derrière un écran, à voir le monde par procuration, sans plus jamais aller vers l’inconnu. Avoir peur de tout, ça n’est pas notre tempérament. On est proche de la nature, on aime les choses simples, on n’a pas besoin d’aller au restaurant ou au ciné. On aimait faire tout ça, mais on peut s’en priver, on en est capable, donc on tient le coup, on résiste, on n’est pas inquiet là-dessus. Mais quant à faire des projets, non, c’est compliqué. On est en mode survie pour l’instant.

Ils nous ont volé notre capacité à nous projeter dans le futur.