Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Francis

Infirmier (Vaucluse)

« Administrativement, socialement, on disparaît, on est effacé, conduit lentement vers notre mort. »

Francis a 51 ans, il vit en couple, il a deux adolescents de 14 et 16 ans. Après 12 ans d’expérience en service de psychiatrie adulte, il a été suspendu le 17 septembre 2021.

La première année de la crise a été éprouvante et très compliquée dans notre hôpital, qui accueille des personnes atteintes de troubles mentaux. Pendant le confinement, on se posait beaucoup de questions sur la sécurité sanitaire, médicale et administrative de ces patients.

Nous travaillons dans un service de malades hospitalisés sous la contrainte, ce qui donne une dimension particulière à leur prise en charge, puisque la raison de leur hospitalisation est qu’ils sont considérés comme potentiellement dangereux pour la société. Il fallait trouver un moyen de créer une unité Covid spécifique, en prenant en compte leur profil psychiatrique, mais aussi l’aspect judiciaire et surtout la sécurité, non seulement pour le patient mais aussi pour le personnel et la société.

Nous avons eu de longs débats, pendant plusieurs mois, mais il n’en est jamais rien sorti.

Dans certaines périodes de vagues épidémiques, nous avons pu constater les insuffisances de notre hiérarchie et son incapacité à faire face à la situation. Du matériel distribué au compte-goutte, des tests de dépistage refusés malgré des situations à risque… Certains patients avaient peur, ils voulaient se faire tester, mais l’hôpital ne testait personne, ni le personnel, ni les patients. Evidemment, dans ces conditions nous avons eu des cas Covid et la contamination ne pouvait venir que du personnel, puisque les patients n’avaient aucun contact avec l’extérieur. Nous avons dû inciter les patients à écrire à la direction pour réaliser une campagne de dépistage de ceux qui le souhaitaient.

Malgré tous ces aléas et ces contraintes, nous avons réussi à contenir l’épidémie. Nous n’avons pas eu de cas d’urgence sanitaire grave à gérer, mais c’est uniquement grâce à la mobilisation de tout le personnel. Toutes les mesures qui ont permis d’arriver à ce résultat ont été prises par les équipes soignantes sur le terrain, elles ne venaient pas de décisions de la hiérarchie, ni de l’institution.

L’annonce du 12 juillet a été pour moi un coup de massue.

Naïvement, j’avais un peu l’espoir que cette décision ne passe pas, avec toutes les instances censées exercer un contrôle sur le respect de nos libertés. Travaillant au cœur d’une population de patients hospitalisés sous la contrainte, dans un univers de restrictions de libertés (certains traitements leur sont imposés), je ressens un vent de mauvais présages souffler pour nous tous.

A mon retour de congés, j’apprends que tout a été accepté, à tous les niveaux. Les députés et les sénateurs ont voté, j’ai pensé qu’ils n’arriveraient jamais à accepter ça, et le conseil constitutionnel a tranché, il a validé leur vote ! Au fur et à mesure de cette fin de vacances, je remarque que certains de mes collègues ont franchi le pas, d’autres s’apprêtent à le faire, bref, je me suis retrouvé comme « le dernier des mohicans » dans un service de quarante personnes. Quelle désillusion ! Ils ont tous plié.

La suite a été très compliquée, harcèlement administratif, expertise de mon arrêt maladie, suspension effective, demande de trop perçu sur salaire… Un séisme administratif et juridique vous noie en quelques jours, et le processus s’accélère en quelques semaines, comme pour finir de vous remplir la cage thoracique d’eau bouillonnante.

Aucune empathie, aucun signe d’une quelconque bienveillance de tout le personnel médical ou de la hiérarchie. Aucun soutien, l’abandon de tous ceux avec qui vous partagiez le quotidien. Et la perte immédiate de toute ressource ! Toutes les règles déontologiques, scientifiques, médicales, juridiques et institutionnelles s’effondrent.

Administrativement, socialement, on disparaît, on ne nous connaît plus, on devient un paria, un complotiste. On ne sait pas ce que l’on va faire, ce que l’on va devenir. On se sent réduit, effacé, conduit lentement vers notre mort.

Toutes ces mesures sont consternantes et ahurissantes. On doute vraiment que ces décisions sont fondées sur une politique sanitaire.

Infirmier suspendu, sans salaire, sans indemnités, sans délai, sans aucune reconnaissance sociale, simplement pour vouloir défendre son droit au consentement libre et éclairé ! Pourtant c’est la liberté de chacun et elle n’est absolument pas une entrave ni un risque pour notre système de santé.

Comment 10 % de la population, non vaccinée et pas malade, pourrait-elle être responsable d’une reprise ou d’une aggravation de la crise sanitaire si 90% des gens sont protégés ? Ou alors de quoi sont-ils protégés finalement ? J’ai du mal à comprendre pourquoi les gens ne comprennent pas ça et pourquoi nous serions les seuls responsables de cette crise dans notre pays. Pardonnez mon irresponsabilité, mon égoïsme et mon manque de fraternité. Désolé que quelques réfractaires et moi nous ayons la capacité de faire mourir 67 millions de citoyens, pardon !

En réalité, ça fait longtemps que l’hôpital souffre d’un manque de moyens. Les tensions hospitalières durent depuis des années (fermeture de lits, suppression de personnel…) et aujourd’hui, des milliers de professionnels qui ne sont ni malades, ni infectés sont suspendus simplement pour s’être opposés à cette extorsion de consentement. En même temps, on maintient en service des soignants vaccinés mais testés positifs au Covid. Quels sont les arguments pour justifier ça, honnêtement ?

Pourquoi je refuse la vaccination ?

D’abord parce que je suis convaincu qu’il y a des traitements. Ils ont fait polémique, oui, mais ils méritent qu’on les étudie, ce qui n’a jamais été fait.

Ensuite, en tant que soignant j’ai un regard sur la prescription d’un traitement et là j’ai un questionnement justifié sur la rapidité de mise en place de cette vaccination. C’est une biotechnologie nouvelle, on doit se poser des questions et on n’a pas encore toutes les réponses. C’est le principe de précaution, on doit prendre le temps.

Et puis une vaccination par obligation ça me pose vraiment problème.

Enfin, il faut cibler les populations susceptibles d’être en péril, mais on ne peut pas dire que ça touche tout le monde de la même façon, sinon on verrait des gens mourir en masse, partout, ce qui n’a jamais été le cas. Ce n’est pas un problème de santé publique globale, ça ne peut pas faire l’objet d’une vaccination massive, ça doit être scientifiquement et médicalement justifié pour chacun. Nous sommes tous différents et la route de la vie ce n’est pas une autoroute, pour certains ce sont des embranchements, des bifurcations, des petits chemins. C’est la même chose face à la maladie.

Alors voilà, depuis peu j’ai pu reprendre mon activité, grâce à un certificat de rétablissement me permettant temporairement d’exercer et de combler un peu les lourdes pertes financières que j’ai subies suite à la suspension (de droits, de salaire, de prestations diverses…).

Pour l’instant je n’arrive pas à me projeter. Je vis au jour le jour. J’espère, avec une certaine naïveté peut-être, à un sursaut de la population, non pas seulement au sujet de la crise sanitaire et du système de santé, mais aussi face aux crises multiples qui s’annoncent, celles du pouvoir d’achat, des pénuries et surtout de la perte de quelques-unes de nos libertés fondamentales.

L’espoir fait vivre et permet de voir les choses autrement, mais il est difficile de rester dans l’altruisme et l’empathie, alors que nous-mêmes nous subissons le rejet. Comment ne pas juger ceux qui nous jugent ?

J’ai encore beaucoup de colère, mais une petite voix intérieure me dit de garder un peu de lucidité et de compassion malgré tout, afin surtout de préserver mon équilibre.