Cindy
Auxiliaire de puériculture (Eure-et-Loire)
« Ce ne sont que des révolutions minuscules qui permettront qu’un jour le monde soit plus beau. »
Cindy a 35 ans, séparée, elle vit avec sa fille de 10 ans. En CDD dans la fonction publique hospitalière jusqu’à fin mars 2022, elle a été suspendue le 15 novembre 2021, après un arrêt maladie.
Je suis soignante depuis peu, à la suite d’une reconversion professionnelle. Dès que j’ai commencé à suivre les stages, j’ai tout de suite compris que j’étais faite pour ça. J’ai eu mon diplôme en janvier 2019 ; Avant cela j’ai été assistante administrative pendant plusieurs années, puis assistante maternelle pendant 3 ans.
C’est une reconversion par choix, ma vocation d’enfant c’était d’être sage-femme, j’ai toujours voulu travailler avec des enfants et petit à petit j’ai réussi à trouver le métier dans lequel je m’épanouissais. J’ai d’abord travaillé en pédiatrie dans un hôpital de rééducation pédiatrique, durant 3 mois, puis j’ai été embauchée en pédiatrie dans un autre hôpital, en mai 2019.
2020, confinement. On commence à nous parler du covid, on nous présente ça comme une catastrophe, ça va être une hécatombe, on va être réquisitionnés. Mais dès le premier jour du confinement la pédiatrie s’est vidée. Je me sentais en décalage avec ce qu’on entendait partout, le service était presque vide, nous avions trois ou quatre patients pour vingt-sept places, ça ne collait pas avec ce qu’on disait aux infos. Dans les services adultes il n’y avait pas beaucoup de monde non plus et ça ne nous a pas impactés. Chez les enfants, on n’a pas eu de cas du tout.
Quand ils ont commencé à tester, il y a eu des cas positifs, mais ils ne venaient pas pour ça, sur le plan respiratoire ils allaient bien. On nous disait il faut se protéger, on devait appliquer le protocole. Au début on avait à peu près ce qu’il fallait et puis on en a eu moins d’équipements. Pour s’occuper des enfants hospitalisés et positifs il fallait enfiler une combinaison de la tête aux pieds. Je me souviens d’avoir été choquée de ça, surtout quand ces enfants étaient hospitalisés pour mal-être, ou agressivité. Ces enfants-là ont besoin d’une relation de confiance avec nous et ces protections étaient des barrières dans le processus de communication.
Dans ces moments-là je me sentais une mauvaise soignante, surtout qu’aux urgences on ne s’habillait pas pour aller voir les enfants et on ne testait pas tout le monde. Certains enfants auraient été positifs si on les avait testés, mais ils repartaient chez eux, et nous, nous n’étions pas protégés… Pour autant personne n’était malade, il ne se passait rien !
Au bout d’un moment j’ai vraiment commencé à me poser des questions. Soit les tests n’étaient pas efficaces, soit les enfants ne transmettaient pas, mais le virus ne circulait pas spécialement chez nous alors que les enfants venaient et sortaient et qu’on ne se protégeait pas spécialement. Et aux urgences adultes c’était pareil, il y avait quand même du passage mais ils ne testaient pas tout le monde.
J’ai commencé à trouver des choses bizarres. Normalement, en hiver, notre service de pédiatrie est plein, on fait beaucoup de transfert en réanimation pour des bronchiolites, mais là rien ! Ça a repris milieu 2021, et là l’hiver a été compliqué. Une année normale quoi !
Puis est arrivée cette vaccination. Avant l’été 2021 ils en parlaient et j’avais beaucoup de doutes sur la question, je voyais bien que les gens en bonne santé, enfin moi en tous cas, à mon âge, je n’en avais pas besoin, et pour les autres je doutais beaucoup que ça fonctionne au niveau de la transmission. Je ne me suis jamais dit « je vais me faire vacciner ». Pour moi c’était clair que je ne faisais pas partie des gens à risque, et puis j’étais persuadée de l’avoir eu, car on était dans un hôpital, il y avait du passage et on allait bien malgré tout. Je me suis dit que je n’en avais pas besoin.
Avant le Covid j’étais déjà méfiante envers les gouvernements, pas confiante en tous les cas, et plus ça avançait avec ce covid, plus je me rendais compte que certaines choses ne collaient pas. Ça ne me rassurait pas du tout, à aucun moment leurs décisions ne m’ont rassurée, c’était des mesures absurdes et du coup je me méfiais de tout ce qu’ils pouvaient proposer. Alors j’ai commencé à m’informer, à chercher à savoir ce que c’était l’ARN messager, et c’est quelque chose qu’on ne maitrise pas… Je ne suis pas quelqu’un à croire directement tout ce qu’on lui dit. Je me renseigne et ça reste dans un coin de ma tête.
Et les traitements précoces aussi, c’est quelque chose qui a joué dans ma réflexion sur la vaccination, ça m’a fait me méfier encore plus. J’ai des gens autour de moi qui m’ont dit avoir pris de l’hydroxychloroquine et qui ont guéri. Et qu’on veuille interdire ça, qu’on ne fasse même pas des recherches là-dessus, qu’on censure tout ce qui a un rapport avec l’hydroxychloroquine… Pourquoi ne pas essayer ? Cela a nourri un peu plus ma méfiance.
Donc juste avant l’été 2021, quand on commençait à parler du vaccin, j’écoutais, je ne disais trop rien. Puis la cadre nous a annoncé que la vaccination serait obligatoire pour les soignants à la rentrée, et là je n’ai pas dit « moi je ne le ferai pas », mais j’ai commencé à parler, à essayer de discuter, à exprimer mes doutes. La plupart de mes collègues, et ma cadre, n’étaient pas d’accord avec moi. Pendant les vacances, le discours de Macron a confirmé l’obligation pour les soignants. J’étais en vacances, c’était un peu compliqué, très compliqué même… j’allais être interdite de faire ce qui me plaît, on allait m’interdire d’apporter ce que je suis à cette profession et à mes patients. Je pensais à tout ça pendant les vacances… A la rentrée, je gardais tout ça pour moi, je n’en parlais pas, je me faisais toute petite. J’essayais quand même de dire des choses de temps en temps aux collègues avec qui j’étais un peu plus proche, mais dans ma tête il était clair que je ne me vaccinerais pas. A aucun moment je me suis dit que j’allais le faire pour garder mon travail.
Plus l’échéance arrivait, plus la cadre était insistante. J’ai vraiment senti une pression. La première fois elle m’a envoyé un mail me demandant de lui transmettre mon statut vaccinal. J’ai répondu que je ne souhaitais pas le communiquer, mais c’est peut-être moi qui ai vécu ça comme une pression, elle n’était pas méchante dans sa façon de parler. Un jour une cadre d’un autre service est venue, avec sa liste de chaque personne à voir qui n’avait pas encore donné son statut vaccinal. J’ai répondu la même chose, que je ne souhaitais pas le communiquer et quasiment jusqu’au bout j’ai joué là-dessus, j’ai dit ça.
Dans les derniers jours, la veille ou l’avant-veille, elle m’a renvoyé un mail et là je lui ai fait un pavé. Je ne suis pas entrée dans une argumentation pour ou contre la vaccination. J’ai juste dit qu’il y avait de quoi se poser des questions et là, du coup, je lui ai dit que je refusais. Je lui ai dit que je ne me voyais pas accepter ou refuser de soigner des gens par rapport à leur statut vaccinal, que c’était une aberration et que la vaccination obligatoire est en contradiction complète avec mes valeurs et que si je changeais ça, je ne serais plus la soignante que je suis. Elle m’a répondu « oui mais c’est la loi ». J’avais fait tout un texte et elle m’a répondu par une simple phrase.
J’ai pris rendez-vous avec un psychiatre et il m’a arrêtée. On a été beaucoup à être en arrêt, c’était aussi une manière de pas être suspendus, mais je n’ai pas eu besoin de jouer quoi que ce soit devant le psychiatre, parce qu’honnêtement on n’allait pas bien. Il m’a arrêtée pour un mois et il m’a renouvelée ensuite. Ça aurait pu continuer plus longtemps, mais il a aidé beaucoup des soignants et lui aussi, en novembre, il a fait une espèce de dépression. Il n’allait pas bien et du coup, pour prendre rendez-vous avec lui c’était compliqué.
En plus de ça, même en arrêt maladie l’hôpital ne me payait pas. Alors je me suis dit que ça ne servait à rien de rester en arrêt maladie. On n’était plus que quatre dans ce cas-là, on a fait un recours en référé avec un avocat, on a perdu. A la fin, On a été deux dans le service à ne pas se faire vacciner, deux sur cinquante ! Ça fait 4 % !
Et c’est en novembre 2021 que j’ai été suspendue. J’avais prévu, j’avais des économies, j’ai vécu là-dessus. Mon département a accepté que le RSA soit versé au personnel suspendu (ce n’était pas le cas partout en France) et comme je suis toute seule avec ma fille j’ai pu l’avoir, à partir de décembre 2021, mais le RSA ça ne paie pas tout !
En dehors du côté financier un peu compliqué, il y a le côté psychologique, et ça c’était vraiment le pire ! La première chose, c’est ne pas pouvoir faire ce qu’on aime. C’était une reconversion, j’étais tellement contente d’avoir enfin trouvé le métier qui me plaisait, et là on m’interdit de le faire. Ça me manquait, mon boulot me manquait, les enfants, mes collègues me manquaient. J’éprouvais un grand sentiment d’injustice, surtout qu’en septembre j’avais fait une sérologie et j’avais des anticorps Covid assez hauts ; j’étais donc protégée, mais sans schéma vaccinal je ne pouvais pas travailler ! Je n’en ai pas voulu à des personnes en particulier, j’en ai voulu à tout le système, parce que tout ça c’est pour du fric, c’est magouille et compagnie, c’est corruption à gogo, et ça me dégoûte de tout ce système, de toute cette société. J’en ai voulu à tout ce système.
L’autre chose, et ça je l’ai entendu, c’était les gens qui nous agressaient verbalement en disant qu’on était des dangers. L’indifférence de la population, ce n’était pas très grave. Par contre, quand on te dit que tu es un danger pour les autres… Et puis dans ma famille, pas ma famille proche car je suis très soutenue, mais la famille plus éloignée… ils ne comprennent pas, toujours maintenant ! Ce qui m’a fait le plus mal, c’est qu’on n’accepte pas la différence de point de vue des autres. Que des personnes veulent se faire vacciner et croient en ça, soit, qu’ils le fassent, mais qu’ils ne dénigrent pas ceux qui ne veulent pas le faire. Le plus difficile c’est l’intolérance des choix de chacun.
Aujourd’hui je trouve du travail là où on veut bien de moi, pour pouvoir payer mes factures. J’ai fait des petits boulots de conditionnement en intérim, et là j’ai trouvé dans l’administratif, toujours en intérim, quelque chose que je faisais avant, donc je suis plus à l’aise que dans le conditionnement, mais ce n’est pas ce que je veux faire, c’est un peu retour à la case départ.
Je veux continuer à faire ce que je faisais, mais pas dans un contexte de soins hospitaliers. J’aimerais être accompagnatrice périnatale, créer mon entreprise, ou un institut, je ne sais pas encore sous quelle forme. Pour l’instant je ne me sens pas encore prête, mais j’ai envie d’accompagner les parents et futurs parents par une approche plus globale, les aider à s’écouter, à écouter leur bébé, à se faire confiance, parce qu’à l’hôpital on ne veut pas écouter les parents. Les parents ont un instinct et on met ça de côté, c’est dommage.
Les enfants sont la société de demain, il faut prendre soin d’eux, leur transmettre les bonnes choses. Si les parents et la société savaient mieux s’occuper d’eux, mieux les comprendre, mieux les accompagner et mieux leur apprendre les choses, la société irait beaucoup mieux. Mon espoir c’est d’arriver à transmettre ça et que ça fasse boule de neige. Ce ne sont que des révolutions minuscules qui permettront qu’un jour le monde soit plus beau.
Témoignage recueilli en janvier 2022