Axelle
Aide médico psychologique (Isère)
« Mon enfant avait 4 ans quand tout a commencé. Je veux pouvoir lui dire que j’ai essayé de dire non à ce monde, que je n’ai pas tout accepté. »
Axelle est en couple, avec un enfant de 7 ans. Elle exerce depuis 10 ans, les 8 dernières années en foyer pour personnes déficientes intellectuelles et très dépendantes. Elle est suspendue, sans salaire depuis le 30 aout 2021.
Il y a…
Il y a eu l’annonce du 12 juillet 2021,
il y a eu la loi du 5 août 2021,
il y a eu le choc,
il y a eu le refus,
il y a eu les vacances,
il y a eu le choix,
« la prise d’otage »,
il y a eu le déni,
le : « Ils ne vont pas faire ça ! »,
il y a eu le 15 septembre,
des arrêts maladies,
il y a eu l’incompréhension,
il y a eu le silence,
du jugement,
il y a eu plus de salaire,
il y eu des pleurs,
il y a eu les manifs,
des banderolles,
les prises de paroles,
le collectif,
des publications scientifiques,
la solidarité. Le temps qui passe…
Il y a eu des rencontres,
il y a eu de la musique,
de la danse,
il y a eu de l’espoir,
de la colère,
de la peur, le temps qui passe…
Il y a eu le deuil,
l’insécurité,
il y a de l’impuissance,
il y a eu des déceptions,
des désaccords,
des joies,
du partage,
de l’amour,
des moments festifs, le temps qui passe…
Il y a eu des certificats de rémission,
des retours au travail pour 6 mois, ah non 4 mois !
Ah ben en fait, on sait pas !
à nouveau des suspensions, le temps qui passe…
Il y a eu des reconversions,
des petits boulots,
il y a eu de la bidouille,
de la débrouille, le temps qui passe…
Il y a eu du lâcher prise,
il y a des fiches de paie en négatif,
le temps qui passe…
Le jour le jour,
le juridique, le temps qui passe…
Un an…
toujours suspendus sans salaire…
dans un silence assourdissant !
La suite ? On ne sait pas…
en attendant il y a des besoins, il y a la vie, il y a vous.
Merci à ceux qui nous soutiennent et à tous mes « compagnons de route ».
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Poème et témoignage (à télécharger en bas de page) recueillis fin novembre 2022
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LA REINTEGRATION ?
La réintégration, moi je l’appelle la désintégration ! Ça me paraît plus juste. C’est le même processus que la suspension mais dans l’autre sens. Peu d’informations, incohérences, précipitation, état de choc, silence, solitude… J’ai eu la sensation d’avoir été achevée, le dernier coup de grâce !
Quelques jours avant la parution du décret, qui n’était encore que virtuel, le directeur de l’établissement où je travaillais a laissé un message sur mon répondeur. Après 20 mois sans contact, sans même demander ce que je suis devenue, comment cela se passe pour moi… il veut savoir ce que je compte faire et quand je reviens ! Je lui ai répondu par email (j’ai appris à tout tracer), lui disant que j’attendais simplement la sortie du décret.
Le décret… Ce week-end du 13 mai, tous les suspendus l’attendaient… Le décret… Les questions fusaient dans les groupes de discussion :
– Et toi tu fais quoi ? Comment on va s’en sortir ?
– Moi j’ai un autre boulot, je vais être obligée de faire un abandon de poste, oui… mais, comme par hasard, la loi a changé il y a un mois et on ne sait pas trop ce qu’on risque : devoir payer un préavis, des poursuites ?
Et le décret est sorti le dimanche, enfin… le samedi dans la nuit. Je rentrais d’une soirée chez des amis quand je l’ai appris et je n’y ai pas cru… Pourtant je n’avais pas bu, mais j’ai dû demander à mon compagnon si je ne rêvais pas ! Naïvement, (et oui même après tout ça je ne suis pas encore tordue comme eux) je pensais qu’il y aurait quelques pages avec des directives, et là deux lignes… :
- Article 1
L’obligation de vaccination contre la covid-19 prévue par l’article 12 de la loi du 5 août 2021 susvisée est suspendue. - Article 2
Le ministre de la santé et de la prévention est chargé de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
J’étais sonnée, fatiguée de tout ça… Après 20 mois invisible, de côté, sans salaire, sans aucune nouvelle de personne, hop, ça y est, on doit revenir du jour au lendemain !
Le lundi je suis retournée dans les écoles, là où il y un an j’ai trouvé du travail pour tenir… J’ai attendu, me disant que j’allais bien avoir des nouvelles, et le mardi 16 je recevais un recommandé indiquant que je devais me présenter le 15 au matin sur mon lieu de travail. J’étais donc déjà en absence injustifiée… J’ai envoyé un mail à mon directeur lui demandant un entretien avant d’envisager de revenir… Cela me paraît un minimum, j’avais besoin de le rencontrer et qu’il me voit, moi, Axelle, non pas une fiche de paye en négatif ou une ligne vide sur le planning. Je voulais aussi récupérer les affaires restées dans mon casier. J’ai eu pour seule réponse : « Afin de vous accompagner dans votre reprise de poste, merci de vous présenter à l’adresse indiquée dans le courrier recommandé transmis où votre cheffe de service vous accueillera. Un entretien sera réalisé le jour de votre reprise. »
J’ai insisté auprès du directeur afin de le rencontrer mais il a refusé à nouveau…
C’est à ce moment-là que j’ai compris que tout ça est insoluble, que nous sommes piégés, ils ont été très forts ! J’ai beau tourner le truc dans ma tête, j’ai la sensation de jouer une partie d’un jeu dans lequel les autres ont les règles, mais pas moi ! Il faut que ça s’arrête. De toute façon je n’ai plus rien à perdre, c’est joué d’avance et là, ça devient juste insupportable. Je n’ai plus envie de leur donner tout ce temps, cette énergie qui me décentre de tout le reste, à commencer par mon fils. Alors le 17 mai après-midi, je n’ai plus réfléchi, je m’y suis rendue et là, j’ai vécu un moment surréaliste !
Jusqu’à ce jour je n’étais pas revenue dans les locaux. La confirmation de la réintégration ayant été plus que subite, et après tout ce temps et ce que cela a représenté pour moi, il me semblait légitime de rencontrer mon directeur et d’échanger avec lui afin de pouvoir reprendre la mission que représente le travail d’aide médico psychologique dans les meilleures conditions…
Nous avons une fonction qui nous demande d’être disponibles psychiquement, d’accueillir la différence, la liberté de choix, toutes ces valeurs fondamentales. Si nous avons choisi d’accompagner ces personnes si différentes c’est que nous sommes en accord avec notre propre humanité et intégrité.
Pendant cette suspension j’ai été privée de la possibilité d’exercer mon métier, j’ai été privée du salaire me permettant d’assurer le quotidien de ma famille et de mon enfant, j’ai subi une mise de côté totale suite à un « choix » personnel et médical, l’inverse des valeurs que je défends auprès de ce public depuis 10 ans ! J’ai été en arrêt maladie 5 mois, dans l’incapacité de rebondir et en difficulté psychique, mais malgré tout ça j’aime mon métier et il me manque…
Je suis donc venue sur place me présenter à Mme M., ma cheffe de service que je ne connaissais pas. Comme elle n’était pas disponible immédiatement j’ai patienté dans le couloir, devant son bureau et celui du directeur, qui était ouvert… Lorsque, au bout de 45 minutes environ, Mme M. s’est libérée, le directeur est allé s’entretenir avec elle, en refermant la porte derrière lui. Pourquoi à ce moment-là n’est-il pas venu me voir, afin d’organiser une reprise sereine ? Cette cheffe, je ne la connais pas, elle ne connaît pas mon parcours, un entretien avec elle n’a pour moi aucun sens !
Je me suis retrouvée dans le bureau où j’avais été suspendue le 30 août 2021. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête… le vide… Il y a 20 mois, j’ai été mise dehors ! Cela a été d’une extrême violence et personne ne peut imaginer ce que j’ai vécu pendant ces 20 mois… Les garde fous du secret médical, du code du travail ont volé en éclat… Je me suis trouvée en état de choc. Et parce qu’un décret le stipule, l’histoire reprend là, comme ça, en quelques jours ? « Et voilà ! » m’a dit Mme M.
Et voilà ! Comment cela est-il possible ? Pour moi c’est tellement plus complexe… Alors je me suis de nouveau retrouvée sonnée, à prendre un planning pour commencer aussitôt, en oubliant même de demander mon annualisation, les congés, la suite… Sonnée…
Je suis allée chercher mes effets personnels dans mon casier. Surprise… Il n’était plus là, il avait été ouvert et attribué à quelqu’un d’autre… Autre surprise… Personne ne peut me dire, à ce moment-là, où sont mes affaires…
Comment puis-je imaginer une relation saine après un retour dans ces conditions et avec si peu de considération ?
Il y a des consignes m’a-t-on signifié… Alors suivez vos consignes. Pour moi c’est trop, je vais exploser de l’intérieur, mon cerveau ne suit plus, mon fils me demande d’être disponible et je n’y arrive pas… Alors vous ne me reverrez pas, je reviens à mes valeurs, valeurs qui ne sont plus vraiment en accord avec celles de mon lieu de travail…
Ne pas venir sans prévenir, cela ne me ressemble pas. J’ai donc écrit à mon directeur en l’informant de toutes les raisons pour lesquelles il m’était impossible de reprendre. J’ai reçu hier ma lettre de licenciement pour faute grave, sans indemnités bien sûr (après 10 ans d’ancienneté), avec un solde de tout compte négatif. J’aurai bientôt la surprise d’apprendre combien je leur dois…
J’ai constaté que, petit à petit, le peu d’anciens collègues qui nous soutenaient nous ont « lâché », j’ai perdu encore deux ou trois « amis ». Je crois que la réintégration, c’est pire que la suspension, nous ne sommes plus rien, même plus suspendus finalement ! On s’est entendu dire : « Je ne veux pas avoir d’ennuis… Je comprends ta colère mais bon… Faut passer à autre chose, faut rebondir ! ». Tout le monde veut mettre un couvercle là-dessus, très peu nous demandent où nous en sommes. Déjà que ça ne se pressait pas avant, mais là vraiment, c’est pire ! Je me suis dit il y a quelques jours, le gouvernement n’a même plus besoin de nous faire taire ou de nous invisibiliser, ce sont les gens, notre entourage, nos anciens collègues qui ne veulent pas nous entendre ! Ils veulent oublier…
Je crois que même si on veut oublier, c’est là, ça a existé, ça existe et personne ne pourra le changer… Je ne sais pas ce que cela va donner à long terme… Je continue de penser que le couvercle va exploser un jour parce qu’on ne peut pas contenir tout ça éternellement… J’ai déposé une plainte aux Prud’hommes, j’ai été déboutée et j’ai fait appel… il faut patienter un ou deux ans mais c’est en cours…
Je mesure dans ces moments-là combien ma blessure est grande et comme elle sera longue à se refermer… Même si j’ai rebondi, tenu, je resterai une suspendue…
Avec tout ça, avec cette désintégration, ils ont presque réussi à nous faire oublier qu’on a gagné. C’est sûr, il n’y a pas eu de grande fête comme parfois, entre suspendus, on se plaisait à imaginer quand ce serait fini ! Mais, je ne voulais pas de ce produit en moi, c’était mon objectif, j’ai tenu bon, j’ai rebondi, j’avance et je vais plutôt bien !
Je vais continuer à travailler dans les écoles pour l’instant, et en complément, faire un peu d’Intérim dans le médico-social puisque maintenant j’ai à nouveau le droit.
J’ai perdu des gens, beaucoup d’argent, cette expérience m’a profondément transformée, il y a encore beaucoup de deuils à faire, mais j’ai gagné des liens indescriptibles avec mes compagnons de suspension, vécu des moments de pure humanité, connu la solidarité, la vraie ! J’ai appris à recevoir, à perdre des liens, à aller encore plus à l’essentiel, à vivre encore plus dans l’instant présent. Je ne me suis pas menti, je ne me suis pas trahie, j’ai sûrement une autre force en moi… Je peux donc toujours me regarder dans les yeux avec tendresse et respect, et dire à mon fils qui a maintenant 7 ans : « J’ai fait de mon mieux, pour dire non et ne pas accepter ce monde que l’on veut nous imposer et qui ne me ressemble pas ».
Désintégrée un jour de mai,
Désintégrée et oubliée
Désintégrée mais plus forte que jamais…
Complément de témoignage recueilli le 24 juillet 2023
Le premier témoignage d'Axelle est consultable en téléchargement via ce lien.