Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Anne

Infirmière (Gironde)

« Je veux être gardienne de la vie, pas de la mort. »

Anne a 50 ans, mariée, elle a 4 enfants. Infirmière de profession depuis 1996 mais ayant également exercé d’autres activités, elle achève actuellement une formation en psychothérapie. Son dernier poste d’infirmière était dans une petite maison de retraite accueillant 30 personnes. Elle a été radiée en août 2021.

Le bruit courait depuis quelques temps qu’une épidémie allait toucher la France et dans notre structure nous avions un peu anticipé ce qui allait se passer. Nous avions demandé à nos équipes de mettre des masques pour éviter de contaminer les personnes fragiles avec lesquelles on travaillait, comme à chaque fois qu’il y avait une épidémie, ou pour les gastro, les rhumes, etc. Ça ne protégeait pas à 100%, mais nous le faisions contre les projections éventuelles.

Quand Emmanuel Macron a parlé de guerre ça a été comme un coup de tonnerre. Nous sommes auprès des personnes vulnérables, nous avons une grosse responsabilité et nous avons pris toutes les mesures possibles et inimaginables pour protéger nos résidents. Cependant, en observant la vie à l’extérieur de l’EHPAD nous avons commencé à ressentir un clivage. Tout le monde était confiné alors que dehors il faisait beau. Deux mois extraordinaires, certains se sentaient comme en vacances, mais nous allions au travail avec la peur de contaminer nos personnes âgées.

Durant cette période nous n’avons eu aucun cas de Covid, ni de décès, malgré une moyenne d’âge de 91 ans. Par contre ces personnes vivaient recluses, sans sortie, sans droit de visite, pas même de kiné, et stressées par les annonces quotidiennes de Mr Salomon à la télévision. Quel intérêt avait-on de terroriser ces gens qui vivent déjà dans le stress de se voir diminuer et qui avaient plutôt besoin de sérénité ? Je trouvais cela fou. Au pic de la crise nos résidents sont restés enfermés une à deux semaines dans leur chambre ! C’était « Pour le bien de l’humanité » disait-on… Je ne sais même pas comment j’ai pu faire cela. Et dire qu’on nous applaudissait pour faire notre travail…

Nous n’avions pas de protocole en cas de Covid dans l’établissement, aucune mesure, rien, nous avions juste des protocoles d’isolement. Les gens ne sortaient plus, les familles ne rentraient plus. Nous étions tous masqués. A table, en salle à manger, les gens étaient séparés, ils ne devaient plus se faire face. Certains atteints de troubles cognitifs ne pouvaient pas comprendre ces consignes et continuaient à se regrouper.

Tout était incohérent et je vivais un clivage profond. Les protocoles proposés par les médecins qui avaient traité les premiers cas de Covid en France ont été ignorés par le ministère et les instances publiques. On avait le droit de s’entasser dans les transports, les métros, les supermarchés, mais on n’avait pas le droit d’acheter un bouquin dans une petite librairie. On n’avait pas le droit de se promener plus d’une heure, ni d’aller sur la plage, même la nature était devenue « dangereuse ». Et la distanciation sociale, cette sorte de périmètre de protection… C’était fou !

Chez les médecins, j’ai d’abord senti beaucoup d’incertitude, et puis après beaucoup de certitudes. J’ai eu l’impression que c’étaient des girouettes, qu’ils se cramponnaient à quelque chose qu’il fallait faire et qu’on ne remettait pas en doute. C’était comme ça, sans analyse, sans recul, sans possibilité de discuter. L’un d’eux, au début assez critique des décisions imposées depuis Paris, a changé de discours pour devenir intolérant envers ceux qui, comme moi, ne souhaitaient pas se vacciner. Un autre médecin a laissé ses résidents sans soins durant deux mois parce qu’il avait reçu consigne de l’ARS de ne pas aller en institution. Le médecin coordinateur se moquait de nos masques, puis il a sombré dans la panique tandis que mes collègues soignantes et moi faisions le chemin inverse.

Au début j’étais pour les masques, mais quand ma fille au collège a dû en porter un 8 heures par jour, dedans comme dehors, et subir les enclos en récréation pour éviter que les enfants se mélangent, j’ai trouvé très grave qu’on leur fasse croire qu’ils étaient potentiellement dangereux, et surtout pour leur grands-parents. Il y avait cette pub à la télé où une grand-mère recevait son petit fils ou sa petite fille et l’image d’après elle se retrouvait en réanimation. C’est dingue, comment on peut véhiculer des trucs comme ça ? Comment ça se fait que personne ne s’insurge contre un truc comme ça ?

Après ces deux mois de confinement, alors que la vie reprenait à peu près son cours à l’extérieur, les consignes ont perduré dans nos établissements : visites limitées à une heure, et seulement en chambre. Sorties interdites. Interdiction aux familles de toucher leur proche, obligation du masque malgré l’obstacle qu’il représente pour des patients sourds, sous peine d’interdiction des visites, etc. Nous avons vu les résidents décliner à toute vitesse.

Un Etat, une institution, peuvent-il décider à notre place ce qui est bon pour notre vie, notre santé, nos parents âgés ? Nos enfants ?

Et puis soudain le vaccin est arrivé, avec des médecins pressés de faire signer leurs consentements aux patients ou aux familles, sans savoir ce que contenait le vaccin, quels étaient les bénéfices, les risques. Une dame résidente séquestrée depuis deux mois, sans visite, sans information, n’avait même pas entendu parler du covid. Elle a signé sans savoir… Il y avait une forme d’autoritarisme qui gagnait mes collègues. Ils étaient « garants du bien », ils savaient comment « protéger la vie ». Je me souviens d’une fille qui avait baissé son masque pour parler à sa mère, qui était sourde. Quelqu’un du personnel l’a dénoncée et la directrice l’a punie de visite.

On a commencé à vacciner en janvier 2021, malgré le scepticisme de nombreuses personnes âgées qui ne voulaient pas le faire. Mais Olivier Véran a convaincu les derniers récalcitrants lors de son passage à la télévision, en bon commercial il a su leur vendre son produit. La plupart des familles étaient stressées face à ce choix difficile à faire. La fille d’une résidente a refusé la vaccination pour sa mère en raison de ses allergies, tout en se demandant si elle avait fait le bon choix, ou si elle n’allait pas tuer sa mère. Quelle horreur pour une fille de devoir prendre cette décision.

J’ai participé à la seconde vague de vaccination en février 2021. J’avais surtout des réserves sur les conditions de vie qu’on infligeait à la population depuis l’apparition de ce virus, mais pour le vaccin lui-même je ne savais pas trop qu’en penser. J’ai cherché des informations et j’ai trouvé de quoi étayer ma réflexion sur le site de Réinfo-covid. A partir de là je savais que je ne me vaccinerai pas et ne voulais pas non plus d’un produit comme ça pour mes enfants. Ce qu’il se passait ne coïncidait pas avec ce qu’on nous disait. Je ne voyais pas des morts partout, je ne connais pas de morts du covid parmi mes proches, ni autour de moi, ça ne justifiait pas un confinement mondial.

Il y avait toujours plus d’incohérences et ma collègue infirmière et moi nous nous sommes dit que quelque chose vraiment ne collait pas.

Une note de l’ARS déconseillait de faire une sérologie avant la vaccination des résidents, c’était quand même assez surprenant, surtout que le médecin du travail au contraire s’était proposé de le faire.

Et que penser des protocoles médicaux quand le nombre d’injections recommandées par flacon, pour le vaccin Pfizer en l’occurrence, passe en un mois de 5 à 7 ? Ce n’est pas sérieux ! On jouait avec la vie des gens.

Puis ce fut le choc terrible du 12 juillet 2021. J’étais en voiture pour aller chez des amis quand la radio annonça officiellement l’obligation vaccinale pour les soignants, assortie de suspension en cas de refus. On me proposait soit de m’injecter un produit dont je ne voyais pas l’utilité pour moi, soit de perdre mon salaire et mon travail.

Le lendemain je suis arrivée sur mon lieu de travail et j’ai dit à mes collègues « On arrête de travailler tout de suite ! On arrête parce que si on continue de travailler comme ça, c’est sûr, le 15 septembre il y aura des suspendues ». Beaucoup de mes collègues pensaient la même chose, mais n’avaient pas la possibilité d’être sans revenus comme moi, qui aurai de quoi vivre derrière.

La direction et les médecins ont été lamentables, ni le médecin coordinateur, ni la directrice ne sont venus nous voir pour en parler. On a dû décider seules. Deux aides-soignantes ont attrapé le virus et obtenu le certificat de rétablissement qui leur a permis de travailler. Les autres n’ont pas eu le choix et se sont fait vacciner. Il n’y a pas eu de tension dans l’équipe, chacune comprenait les autres, mais nous étions d’accord pour considérer cette obligation comme de la folie, et une violation de notre liberté. J’ai eu plusieurs accrochages avec des médecins à ce sujet. Je ne peux pas concevoir qu’on ait oublié tous les scandales sanitaires plus ou moins récents (Mediator, hormones de croissance, sang contaminé…).

Finalement, nous sommes deux infirmières à être parties. Ma collègue infirmière suspendue pour non vaccination a tout simplement reçu un courrier anonyme, stipulant « Veuillez prendre acte qu’à partir du 15 septembre vous ne pouvez plus travailler ».

Moi, je voulais les prendre à leur propre jeu, les mettre face à leurs incohérences. Je devais me tester toutes les 48 h car je risquais de contaminer les autres, alors aussitôt après l’avoir fait je demandais mon droit de retrait en expliquant que les autres, vaccinés, pouvaient eux aussi me contaminer et me mettre en danger. Soit on sauve tout le monde, soit on ne sauve personne… Finalement j’ai été radiée et je suis partie le 15 août.

Ma collègue suspendue le 15 septembre a constaté qu’après la troisième dose de vaccin il y a eu de nombreuses phlébites, ainsi qu’une recrudescence de problèmes cognitifs, et cinq décès… Etait-ce le vaccin ? L’effet des confinements ? L’âge ? Je ne sais pas…

Il y a eu un cas de covid parmi les soignants fin août, alors ils ont testé tout le monde. Un vieux monsieur, testé positif mais asymptomatique, a dû rester isolé 10 jours dans sa chambre. Il a tenté de s’ouvrir les veines avec un couteau à beurre… C’est dire l’inhumanité de ces mesures ! Protéger quelqu’un en le laissant dépérir psychologiquement…

L’obligation vaccinale ça a été une claque bien sûr, ça a été le déclencheur, mais de toutes façons je n’aurais pas continué dans ce métier. C’est surtout pour mes enfants que j’ai besoin de lutter, je ne peux pas concevoir qu’on prenne un risque pour eux. Et il y a aussi la façon dont on gère l’individu. Travailler en maison de retraite en étant le garde-chiourme des personnes âgées, ce n’est pas possible pour moi. En fait, au travail j’avais l’impression d’embrasser la mort et non de soigner la vie, j’avais l’impression de donner toute la place à la mort.

EPAHD, rien que le nom déjà dit tout, « Etablissement », ce n’est plus une maison. Au lieu de structures aseptisées, où règne la peur de la maladie, créons des lieux où les personnes retrouvent un peu leur maison, sans rupture aussi brutale avec la vie d’avant, sans organisation uniforme pour tous, horaires de repas, menus, etc.

Nous sommes là pour aider les gens, pour les soigner, et soigner ce n’est pas simplement conserver quelqu’un de vivant assis dans un siège sans parler, lui donner des médicaments et l’empêcher de mourir. C’est accompagner les gens dans leur vie, ainsi que dans leur mort. Je veux être gardienne de la vie, pas de la mort.

Témoignage recueilli en février 2022