Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Nadège

Monitrice-éducatrice (Côtes-d’Armor)

« J’ai une maison à payer. Je vais peut-être la perdre, mais je ne désespère pas. »

Nadège a 47 ans, elle est monitrice-éducatrice depuis 20 ans. Elle travaillait en foyer d’hébergement pour adultes déficients. Maman célibataire, elle a deux enfants. Elle est suspendue depuis le 2 octobre 2021.

À l’arrivée du Covid j’étais comme tout le monde. C’était la sidération, peut-être un peu de peur aussi, de le ramener au foyer. Ce sont les établissements qui ont amené cette crainte chez moi plus que le virus lui-même. Je n’avais aucun cas autour de moi, aucun cas au foyer, aucun décès. Ça m’a permis de me détacher de tout le catastrophisme, avec le décompte des morts, etc. Je n’ai pas vécu la première vague comme une hécatombe.

Je me suis très vite méfiée des discours sur le vaccin. J’écoutais le professeur Perronne, le professeur Raoult, je me disais que des gens avec une telle renommée ne pouvaient pas mettre en jeu leur intégrité. C’est comme nous, les soignants, vous croyez vraiment qu’on est stupide au point de se dire : « Tiens, on ne va pas se faire vacciner parce que ça nous plaît d’être suspendus ! » ? Je l’ai toujours clamé, si je me vaccine, je cautionne la vaccination de mon fils de treize ans. C’est hors de question.

Il y a eu une certaine pression de la part des employeurs. J’étais déléguée syndicale et on nous faisait remonter les inquiétudes des salariés par rapport à la vaccination. Au départ on vaccinait les soignants avec l’Astra Zeneca. La présidente de notre Comité Social et Économique (CSE) nous a dit « Mais comment ? Ce sont des experts ! Le vaccin est sûr ! » C’était deux jours avant la suspension du vaccin Astra Zeneca suite à des cas de thromboses…

Les personnes handicapées aussi ont été « encouragées » à se faire vacciner. Au pôle Adultes il y en a 200 qui ont accepté, seule une trentaine a refusé. L’annonce de Macron le 12 juillet a été un prétexte pour amener ces réfractaires (non soumis à l’obligation vaccinale) à accepter l’injection. « S’il n’est pas vacciné au retour des vacances, on ne l’accueillera pas. » Voilà ce qui a été prononcé par ma direction au sujet d’une personne handicapée, dont la fratrie s’opposait à la vaccination. Nous ne répondons plus à notre mission avec de tels propos !

L’annonce du 12 juillet a également fait céder mes quelques collègues qui étaient encore hésitants. Moi, j’ai maintenu ma position. Le 13 juillet j’ai commencé à appeler les syndicats en disant « Qu’est-ce qu’on fait ? Y’a des manifs qui sont déclarées, est-ce qu’on va les rejoindre ? Est-ce qu’on sort les drapeaux ? » Et puis voilà, on m’a dit de me calmer, que tout le monde était en vacances… Je ne me suis pas calmée. J’ai participé aux manifs, sans drapeau, en me disant « Ce n’est pas possible… ce pass-là… c’est non ». L’obligation vaccinale des soignants a été votée par une Assemblée Nationale à moitié vide. Et je ne comprenais toujours pas que personne ne réagisse. Mis à part les manifestants, parce que quand même, cet été, il y a eu de grosses manifs.

Le 15 septembre, je me suis dit que ça allait forcément bouger. Et là, les collègues n’ont pas dit un mot. J’ai un collègue, un petit jeune, qui m’a dit : « Nadège, tu me fais peur ». Aucune discussion sur le pourquoi du comment. J’ai eu quelques échanges de mails avec ma direction. J’allais au boulot avec un test antigénique, je ne mettais personne en danger. Et les mesures m’ont paru de plus en plus farfelues, déconnectées du contexte sanitaire. Sinon, ils auraient laissé les tests gratuits. Il est hors de question que je « baisse mon froc », que je me soumette face à une gouvernance pareille. Toutes ces contre-vérités, contre-mesures…

Je n’ai plus de nouvelles de mes collègues. Ils n’ont pas vraiment cherché à en avoir non plus. Sauf un texto reçu d’une collègue. Si le soutien se résume à un texto, je trouve ça dur. Je ne sais pas quelles perspectives j’ai devant moi. Je me suis usée sur le plan professionnel et sur le plan syndical. J’aimais mon travail auprès des personnes du foyer mais mes collègues ne m’intéressent plus.  Ça râle, ça réclame des sous, ça se plaint de ne pas avoir de bonnes conditions de travail, mais quand on a des leviers, comme le Ségur, ils ne sont pas là. Ils ne veulent pas se confronter à la Direction. On nous fait croire, en faisant des tables rondes et en nous apportant des chocolats, que l’on participe à la construction des politiques. En fait on ne participe à rien du tout. Il faut savoir que lors des deux confinements, notre Direction générale a essayé de faire passer en force les soixante heures par semaine. Nous, on est passés en services de 12 heures. Ça n’a pas été simple.

Aujourd’hui, je suis en retrait total de la société. Je suis déstructurée, parce que le fait de ne plus avoir de boulot, ça a des conséquences sur la vie quotidienne. Je prends tout ce que je trouve. J’ai fait un contrat d’un mois à la déchetterie, cette semaine je travaille dans une sandwicherie. J’ai cette ouverture d’esprit. Il est vrai que passer de l’éducation aux déchets, c’est assez radical. Avec les tensions qu’il y a actuellement, c’est compliqué de dire que je suis monitrice, que je suis là parce que je suis suspendue. Je me sens de plus en plus comme une paria et je perds de l’assurance. J’ai une maison à payer. Je vais peut-être la perdre… Ça me colle des angoisses. Parfois mon fils me dit : « Maman, va te faire vacciner ». C’est juste parce qu’il me voit dans cette angoisse.

Mais je ne désespère pas. J’ai toujours rêvé d’une vie en communauté, où tu mutualises les moyens, et je me dis : « Ben voilà, on y arrive ». Donc maintenant, c’est trouver les réseaux pour que l’on puisse construire cela. J’ai envie de faire pousser des champignons, j’ai vu qu’on pouvait faire pousser des morilles sous serre. Je me dis qu’à plusieurs, on pourrait trouver des terrains.

Témoignage recueilli en décembre 2021

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20 MOIS !


Cette période a été très déstructurante. Beaucoup d’angoisses et d’incertitudes sur l’avenir, bien que durant ces 20 mois j’ai quasiment toujours travaillé. Les différents boulots (usine, ménages, inventaires de magasins, fromagerie, vente en boucherie) m’ont paru dévalorisants. L’impression de baisser d’une caste… la honte parfois, en croisant des collègues à la boucherie. Avec le sentiment d’un découragement et d’une perte d’énergie face au silence, au manque de discussion / débat ou déni des gens qui m’entourent : « On n’en parle plus ! »

Mais je n’ai aucun regret et suis prête à réaffronter une situation similaire. Mes deux fils non vaccinés sont fiers de leur mère et si ça peut les conforter à se battre, à dire « non » et les aider à faire face aux épreuves de la vie, je continuerai à être à contre-courant.

BLANC

LA RÉINTÉGRATION


J’ai repris mon travail au foyer le 6 juin avec beaucoup d’appréhension car je m’attendais à de l’hostilité de la part de certains collègues. Ce jour-là, j’ai failli faire demi-tour mais je me suis reprise en me disant : « si cela ne se passe pas bien, alors je pars. ». J’ai eu raison de combattre cette peur, après ces 20 mois, ça aurait été dommage de ne pas oser affronter ce retour.

Mes résidents m’ont accueillie comme une vedette, j’en avais les larmes aux yeux ! Ils avaient été informés de ma reprise ainsi que des raisons de mon absence. (Je m’attends tout de même à me prendre un taquet sur le sujet mais pour le moment toujours rien. Le COVID semble oublié…)

Je commence depuis cette semaine à me retrouver dans mon rôle au foyer. Il y a eu beaucoup de changement dans l’accompagnement des personnes et dans l’équipe. Je suis plutôt sereine, mais je reste sur la réserve et j’observe…

A la demande de mon employeur, je suis allée à la médecine du travail dès le lendemain de ma reprise. La médecin n’était pas sans connaître les raisons de mon absence durant ces 20 mois et s’est étonnée de cette visite qui, selon elle, n’était pas obligatoire. Elle m’a dit que la décision que j’avais prise m’appartenait en ajoutant que, peut-être, dans 10 ou 20 ans on me donnerait raison.

Pour mes collègues, pareil, le discours à mon retour a été : « Tu as fait un choix qui t’appartenait »

Mais aucune ne cherche à comprendre pourquoi…

L’une de mes collègues a admis qu’il y avait eu quelques dommages avec la « vaccination » mais, au vu du nombre de vaccinés, elle parle de dommages collatéraux… S’il y avait eu des conséquences sur l’un de ses enfants, son discours serait probablement tout autre.
Certaines ont avoué qu’elles s’étaient faites vacciner par obligation et que j’ai été bien courageuse.

Une autre a remarqué qu’à présent au foyer les gens sont fatigués et qu’à 22h tout le monde est au lit. A cette heure-là avant mon départ, il y avait toujours plusieurs résidents debout, à qui il fallait dire d’aller se coucher. Personne ne s’en étonne…

Je suis toutefois surprise du revirement dans le discours de certains : « il n’y aura pas de prochaine fois… certains s’en sont mis plein les poches… oui, on a le sentiment d’avoir été bernés… » Ils devraient réclamer des comptes et je ne comprends toujours pas leur apathie, leur manque de colère.

A la boucherie, le travail était dur mais l’environnement bienveillant. Aujourd’hui je reprends un rythme qui me convient mieux. Cette période de suspension m’a bien cassée… je vais remonter la pente, ça se fera doucement… mais ça se fera, je n’en doute pas !

Complément de témoignage recueilli le 26 juillet 2023

Elle est une des rares à avoir été accueillie avec bienveillance et réintégrée à son poste dans l’établissement où elle travaillait avant la suspension.