Ils ont été effacés, mettons-les en lumière

Adèle

Infirmière (Loire-Atlantique)

« J’ose espérer qu'un jour les générations futures se souviendront cette page de notre histoire, ce qu'ont vécu certains citoyens français sous ce gouvernement. »

Adèle a 34 ans, elle est mère de deux enfants et elle exerce depuis 13 ans. Elle est suspendue depuis le 15 septembre 2021.

Serait-ce un manque de confiance, ou bien juste de l’ignorance ? Trois années d’études, treize années d’expérience, pour si peu de gratitude…

Comment la France prend-elle soin de ses soignants ? Le 14 septembre, 23h59, l’heure a sonné pour moi de rendre mon tablier. Je n’ai pas reçu une dose du vaccin anti covid, je suis devenue une hors la loi. Je suis « Sus Pendue », dans une chute LIBRE…

Riche de treize années d’expérience en tant qu’IDE (Infirmière Diplômée d’Etat) j’ai été privée de mon emploi. Mon travail en hémodialyse permettait aux personnes atteintes d’insuffisance rénale en phase terminale de rester en vie. Sans ce soin, elles décèdent dans les jours ou les semaines qui suivent. Alors, oui, mon métier était essentiel et c’est pourquoi je n’aurais jamais pris le risque de mettre les patients en danger.

Printemps 2020, l’apparition du covid.

Le covid me fait d’autant plus prendre conscience de l’importance du métier que j’exerce, mais je réalise aussi les risques que je prends pour l’accomplir le mieux possible. Période très anxiogène, tellement d’inconnues… Mais aussi moment révélateur de la flamme qui m’anime quand il s’agit de retrousser mes manches pour prendre soin du patient en luttant avec les moyens du bord contre ce virus. Il m’est même arrivé de ressentir une certaine fierté en constatant que notre travail au quotidien avait payé. Enfin, façon de parler, la revalorisation des salaires est un autre sujet…

Disons que nous n’avons pas eu de contamination nosocomiale. Les protocoles d’hygiène arrivent, j’endosse la référence hygiène du service, aucun faux pas n’est toléré, tant pis pour la réflexion sur l’économie et l’écologie, il valait mieux fermer les yeux. Les mois passant, nous avons retrouvé un équilibre qui nous a permis de recharger progressivement les batteries.

Le choc.

Et puis ce vendredi 6 août 2021, à 18 heures, un mail du directeur des Ressources Humaines annonce qu’à compter du lundi 9 août chaque soignant n’ayant pas reçu une dose du vaccin anticovid devra présenter un test négatif toutes les 72 heures.

Après l’effet de surprise, d’incompréhension, de colère, c’est l’accablement qui m’envahit.

Seuls les soignants non vaccinés ont pu ressentir cette discrimination, même si, vaccinés ou non, l’équipe à l’unanimité était contre cette loi d’obligation vaccinale des soignants. Je n’étais donc pas seule.

Déçue, blessée, désabusée, je suis anéantie. La profession qui me faisait vibrer, dans ses bons comme dans ses moins bons moments, qui m’avait intéressée mais aussi fatiguée, inquiétée, ma profession venait de s’effondrer, elle n’avait plus de raison d’être.

Le statut soignant est devenu le statut de soumis.

Je ne suis pas contre le ou les vaccins, je suis pour tout ce qui peut sauver des vies. Je suis aussi pour la tolérance, le respect, la liberté. Je suis pour la vérité la transparence et la cohérence. Nous soignants travaillons dans l’empathie, mais nous soignants sommes soumis.

Soumission ou suspension, est-ce cela avoir le choix ?

Je suis une simple infirmière qui doit obéir. Des soignants obéissants, voilà ce que veut le gouvernement. Inutile de contester une loi. « C’est obligatoire, c’est non négociable », comme me l’explique le directeur des Ressources Humaines ; drôle d’intitulé par ailleurs, pour un poste qui témoigne si peu d’humanité.

J’aime mon métier, j’aime soigner, soulager, panser. Je sais comment travailler, je connais l’importance et je connais les risques de mon métier.

Mais j’aime ma liberté, j’aime évaluer, analyser, penser. Soigner l’autre ne veut pas dire s’oublier, soigner l’autre ne veut plus dire se sacrifier.

Heureusement, un brin de lucidité vient me réconforter. Etonnamment, cette réflexion pleine de bon sens est venue d’un patient. Un quadragénaire dialysé depuis plusieurs années, polypathologique, malheureusement habitué des services hospitaliers. Conscient de la situation, il m’interroge, inquiet « Si vous êtes suspendue, qui vous remplacera ? » Certes personne n’est irremplaçable, mais les soignants se font de plus en plus rares. D’où son sentiment d’insécurité bien compréhensible. Puis il ajoute, en toute simplicité, « Que vous soyez vaccinée ou pas, fumeuse ou n’importe quoi, l’essentiel est que vous fassiez bien votre travail, non ? »

Merci Monsieur pour cette clairvoyance si souvent absente.

Je ne suis pas prête à me faire vacciner, mais cela ne remet pas en cause mes compétences professionnelles. Malheureusement, aujourd’hui, un soignant qui se questionne et réfléchit est perçu comme un soignant gênant et s’il pose trop de questions il sera considéré comme rebelle.

Tout le monde aura un jour ou l’autre besoin d’un soignant, alors prenons-en soin maintenant.

Témoignage recueilli le 7 décembre 2021

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LE DÉCRET

Écartée telle une pestiférée depuis le 15 septembre 2021, et d’un jour à l’autre, devenue indispensable. Certes je n’ai pas la prétention que c’est moi, Adèle, que l’on attend, mais bien un pion pour compléter la ligne de l’infirmière en arrêt. Ça tombe bien, Mr Braun nous a remis sur le marché juste avant l’été. Les ressources humaines, qui n’ont d’humanité que le nom, me le confirment, je n’ai pas le choix. Tiens donc, ce fameux « choix », toujours là où il arrange lui.

Cette reprise sans négociations me permet de comprendre qu’aujourd’hui les situations se sont inversées. Mon employeur a besoin de moi, mais moi je n’ai plus besoin de lui. Je souhaite être réintégrée de façon légitime à mon poste. Scénario rencontré : un mail pour fixer un rendez-vous téléphonique au lendemain, afin de définir les modalités de réintégration. Même les opérateurs mobiles sont plus prévenants. J’ai donc demandé un entretien en présentiel, ce qui me semblait indispensable, vingt mois après la date de ma mise en suspension, et sans qu’aucun membre de l’administration ne soit venu aux nouvelles. Je me suis donc déplacée au siège de l’entreprise. L’échange fût bref, la messe était dite. Évocation de l’instruction, besoin imminent d’un remplacement, ma réintégration est déjà ficelée. Suis-je toujours aussi naïve pour juste espérer être écoutée ? Je vais donc reprendre mon poste, après dix années d’ancienneté que je n’ai pu fêter, avec le sentiment d’être la remplaçante d’été qui doit juste exécuter.

D’ici quinze jours je devrai quitter mon poste d’assistante d’éducation au collège. Je vais devoir laisser de façon prématurée le travail qui m’a permis de retrouver un certain équilibre en cette période d’incertitude et de souffrance. De lâcher mes coéquipiers déjà surmenés, de laisser inachevée mon humble mission de croire en nos jeunes et de les accompagner dans leur épanouissement. J’avais envie de continuer d’apprendre à leurs côtés. Il me restait un mois et demi pour mener mon travail à son terme. Je devais participer au brevet des collèges fin juin. Je voulais leur dire au revoir et bonnes vacances, avec toute la légèreté de la fin d’année scolaire et de l’été qui égaye les esprits. Les beaux jours, les élèves s’assoient dans l’herbe au soleil, discutent ou se dorent la pilule, pendant que d’autres jouent éperdument au ballon, au point de tremper leur T-shirt. Il règne une ambiance joviale dans la cour de récréation. Déjà certains se projettent à la rentrée prochaine, « Vous serez là vous, madame ? » A défaut de leur dire un non catégorique, je préfère leur répondre « Normalement non ». Alors là, leur dire que dans quelques jours je ne serai plus là, je crains leur incompréhension et mon émotion, même si quelques énergumènes seront ravis que je ne fasse plus parti de leur champ de vision. Mais pour la quatrième fois en une année, la loi m’oblige à partir avec ce sentiment d’abandon. Émotionnellement, c’est pesant. Bien sûr, je n’oublie pas les victimes collatérales de ces situations, quelles qu’elles soient.

Je n’imaginais pas pouvoir être déçue d’être réintégrée. Ce moment tant espéré, et à la fois tellement illusoire. Oui je l’attendais désespérément, mais une réintégration sans considération me laisse amère.

Nous y sommes presque, la loi du 5 août 2021 devrait sans doute être définitivement abrogée prochainement. Alors oui je me réjouis. Enfin !!! Je crierai ma joie quand cela sera acté pour de bon. Mais quelle avancée… La réintégration est le prélude à ma réparation. L’adaptation fait désormais partie de mon quotidien, je suppose que le retour dans mon service parmi mes collègues de longue date et auprès des patients se fera naturellement. Je sais ma chance d’être bien entourée. Un nouveau départ est donné.

J’ai compris qu’aujourd’hui la majorité des français est passée à autre chose, pour des raisons différentes mais peu importe, ils avancent à leur façon. J’ose espérer qu’un jour les générations futures se souviendront, ou découvriront cette page de notre Histoire, qu’elles soient interpellées, voire secouées par ce qu’ont vécu certains citoyens français sous ce gouvernement. Et que cela puisse leur éviter de reproduire certains égarements…

LA REINTEGRATION

Après bientôt deux mois de reprise à mon poste d’infirmière je me sens éteinte. Je voulais reprendre mon métier aimé mais je n’arrive pas à pardonner. Concrètement, j’en veux à mon employeur. Nous travaillons dans un domaine médical où l’empathie, la bienveillance, l’entraide, des valeurs affichées partout, visiblement ne s’appliquent pas à nous, soignants.

Certes la loi était telle, et mon employeur était obligé de l’appliquer. Mais l’imposer sans conciliation, voire sans considération, n’était pas dans les textes. S’il y avait eu une pointe d’humanité chez ces personnes maniant le personnel soignant, dont moi Adèle, femme, mère, et infirmière, j’aurais probablement perçu les choses différemment.

Malheureusement l’entretien de réintégration a confirmé cette déconsidération envers les suspendus jusqu’à entendre que nous étions une charge de travail supplémentaire, car ils avaient dû gérer notre remplacement. Serait-ce moi qui devrais faire preuve d’empathie ? Impossible à l’heure actuelle. Je leur en veux de ne pas ouvrir les yeux. Je cherche un moyen pour qu’ils puissent voir ne serait-ce qu’une infime partie de la réalité.

Complément de témoignage recueilli le 20 juillet 2023

Adèle a repris son poste d’infirmière en hémodialyse au sein du même établissement. Elle a été accueillie avec bienveillance par ses collègues, mais avec indifférence par les Ressources Humaines et les médecins. Elle souhaite se reconvertir dans l’enseignement ou le médico-social.